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« Pour une République culturelle »

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Le Monde.fr | 24.12.2015

 

Parallèlement aux territoires urbains qui apparaissent épisodiquement, avec fracas, à la une des médias, il existe d’autres territoires, des territoires ruraux, des villages, des petites villes qui se défont lentement, régulièrement depuis des décennies, dans le silence.

Ici les populations vieillissent, les jeunes s’en vont avec les entreprises qui disparaissent et les services publics qui ferment et ceux qui restent sans l’avoir choisi ou désiré, vivent souvent dans une grande désespérance.

Même si les responsabilités sont partagées, l’Etat n’a pas su mettre un frein à cette évolution qui traverse de nombreux pays. Ce délitement s’est doublé d’un phénomène de métropolisation, créant autour des quelques grandes villes en développement un vide parfois terrifiant.

Abandon

Aujourd’hui, malgré les mises en garde et les appels, cet abandon d’une vaste partie du territoire apparaît au grand jour et se manifeste par des votes de colère. Pourtant, comme les territoires de banlieue, les territoires ruraux représentent des potentiels de développement qu’il faut savoir reconnaître, soutenir, libérer. Ils sont porteurs de richesses patrimoniales immenses, de paysages uniques en Europe et surtout d’initiatives sociales, culturelles, économiques sur lesquelles il est temps de s’appuyer.

Ces territoires portent en eux un modèle de développement issu des volontés locales, fondé sur des partenariats construits localement entre acteurs de terrain, et avec des entreprises, des établissements nationaux. Ce sont ces volontés, ces initiatives locales qui peuvent transformer un monde trop cloisonné et refermé sur lui-même.

Comment faire comprendre que l’innovation, le progrès sont liés à la transversalité et aux alliances, à l’ouverture et à l’envie de découvrir, aux modifications des comportements, et donc à l’éducation, à la formation permanente, et à la politique culturelle ? Au cœur des politiques à entreprendre pour favoriser ce modèle de développement territorial, il y a un double travail à envisager : développer une offre culturelle permanente encore souvent absente et, là où elles existent, soutenir les initiatives culturelles qui contribuent à fédérer les dynamiques transversales.

Pour cela, on peut compter sur l’engagement d’artistes, de compagnies de théâtre ou d’ensembles musicaux, de centres d’arts visuels, d’associations ou structures itinérantes… Plus que les œuvres en elles-mêmes, ce sont le processus partagé avec les habitants et les étapes franchies pour arriver au spectacle, à la création, qui enrichissent le territoire.

En milieu rural depuis 40 ans

Ces modalités bousculent souvent les fonctionnements habituels du monde culturel et les repères institutionnels, s’inscrivant parfois elles-mêmes à la périphérie des politiques culturelles. Parmi ces acteurs, il existe un réseau national structurant qui œuvre essentiellement en milieu rural depuis 40 ans, celui des Centres culturels de rencontre, aujourd’hui en plein développement.

Créés par des initiatives locales, ces Centres sont situés dans des sites patrimoniaux remarquables qui leur procurent une assise et une visibilité fortes. Ils ont pour vocation l’accueil en résidences d’artistes et l’organisation d’événements qui attirent un large public autour d’un projet culturel.

Reconnus par un label national du ministère de la culture et de la communication et soutenus par les collectivités locales, ils mettent en œuvre une politique transversale de développement à partir de la culture, du patrimoine, de la création. Ils y associent le tourisme, le monde économique et universitaire, l’insertion professionnelle des jeunes talents, l’ouverture à l’international, le maillage avec le tissu associatif, la médiation vers les enfants, les familles, les personnes âgées…

En lien avec l’Éducation nationale, ils mènent en direction des jeunes, des actions concrètes et régulières de découverte du monde de la création et de participation à des activités culturelles. En somme, ils contribuent, avec d’autres réseaux et partenaires, à redonner vie aux territoires qu’ils habitent.

Une chance à saisir

La présence d’un tel Centre culturel de rencontre a parfois permis, en lien avec les différents acteurs territoriaux, de maintenir des emplois, quelques familles, la poste, la petite école d’un village, l’arrêt du bus… Plus largement, c’est cette synergie des différentes politiques – économique, sociale, éducative, solidaire, environnementale… et culturelle – qui peut transformer la dynamique des territoires.

Plus que jamais, dans le contexte d’isolement et de perte de confiance vécus par les habitants, ces acteurs et équipements culturels représentent des chances à saisir, des perspectives d’avenir. Les Centres culturels de rencontre, en particulier, sont de nature à créer un climat d’innovation, une ouverture vers d’autres réseaux, une image positive, une attractivité. Le projet de loi « relatif à la liberté de création, à l’architecture, au patrimoine » est une chance à saisir pour soutenir ce réseau et ces centres.

Avec eux, les collectivités locales et notamment les grandes régions disposent d’outils modernes en faveur de la renaissance culturelle des territoires ruraux. Elles devront les prendre en compte dans le cadre des schémas d’aménagement dont elles ont la responsabilité.

Yves Dauge (Président de l’Association des Centres culturels de rencontre) et Isabelle Battioni (Déléguée générale de l’Association des Centres culturels de rencontre)

Cosignataires de cette tribune. Les directrices et directeurs des Centres culturels de rencontre de: Abbaye aux Dames, la cité musicale ; Saintes Abbaye de Noirlac – Centre culturel de rencontre ; Abbaye royale de Saint-Jean-d’Angély*; Abbaye royale de Saint-Riquier ; Abbaye de Sylvanès ; Abbaye de Vaucelles*; Ambronay – Centre culturel de rencontre ; Centre culturel du Château de Goutelas ; Chartreuse de Neuville-sous-Montreuil*; Chartreuse de Villeneuve lez Avignon – Centre national des écritures du spectacle ; Château de l’Esparrou*; La Corderie royale – Centre international de la mer ; Domaine de Fonds-Saint-Jacques ; Domaine de Kerguéhennec ; Domaine de la Vergne – Maison du comédien Maria Casarès ; Les Dominicains de Haute-Alsace ; IMEC- Abbaye d’Ardenne ; Parc Jean-Jacques Rousseau – Ermenonville ; Le Prieuré de la Charité-sur-Loire – Cité du mot ; Royaumont − abbaye & fondation ; La Saline royale d’Arc et Senans ; Sylvart* (*Projets pris en considération pour devenir Centre culturel de rencontre).

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/24/pour-une-republique-culturelle_4837891_3232.html#6Jjjqx5h3C52Cba5.99