- Catégorie parente: Documents et Debats
- Catégorie : Bernard Gui
Bernard Gui : Extrait du Manuel de L’Inquisiteur (Pratica Inquisitionis hereticae pravitatis) concernant les Béguins, les Béguines et les Franciscains ‘spirituels’
Bernard Gui et Guillaume de Baskerville aux prises... Gregory Nardella et Jean-Michel Hernandez (Crozada IV 'Le Cri' Albi août 2020)
1. Pour ce qui suit, il concerne la secte de ceux que l’on nomme communément Béguins ou Béguines :
La secte des Béguines, qui se nomment « frères en pauvreté » et affirment qu’ils observent et professent la troisième règle de Saint François, a surgi récemment dans les provinces de Provence et de Narbonne. Ils ont commencé à répandre leurs opinions erronées à partir de l’année de notre Seigneur 1315 environ, bien qu’ils soient apparus comme suspects à l’avis de nombreuses personnes bien plus tôt. Au cours des années suivantes, dans les provinces de Narbonne, de Toulouse et de la Catalogne, bon nombre ont été arrêtés, emprisonnés, et une fois leurs erreurs mises en lumière, ont été nombreux des deux sexes à être jugés, condamnés et brûlés. Cela s’est surtout passé à partir de l’année de notre Seigneur 1317, plus particulièrement à Narbonne et à Béziers, dans le diocèse d’Agde, à Lodève, autour de Lunel dans le diocèse de Maguelonne, à Carcassonne et à Toulouse (où l’on a exécuté trois étrangers).
2. Ce qui suit traite des erreurs ou opinions erronées des Béguins de nos jours, et comment elles ont été acquises :
Ainsi, en divers endroits de la province de Narbonne et dans certains lieux de la province de Toulouse, à partir de l’an de notre Seigneur 1317, les Béguins – comme se nomment communément ceux des deux sexes en se décrivent comme « frères pauvres et pénitents du Tiers Ordre de Saint François », portant habits marrons ou grisâtres, avec ou sans cape – ont été publiquement exposés et ont confessé devant notre tribunal être porteurs de nombreuses erreurs et opinions erronées, s’exaltant en flagrante opposition à l’Eglise de Rome et de son siège apostolique, bafouant le pouvoir apostolique du Seigneur pape et celui des prélats de l’Eglise de Rome. Grâce à l’emploi de moyens de questionnement légitime, et à travers les dépositions et les confessions de bon nombre de leurs comparses, ayant choisi d’être brûlés et de mourir plutôt que d’abjurer leurs opinions, ainsi qu’il leur a été enjoint suivant le droit canonique, on a découvert qu’ils ont en grande partie été infectés de leurs erreurs et opinions pestilentielles par les livres et autres écrits de Frère Pierre-Jean Olivi, né à Sérignan près de Béziers.
C’est-à-dire, qu’ils ont été infecté de leurs erreurs par la lecture de son livre de commentaire sur l’Apocalypse, qu’ils possèdent à la fois en latin et en traduction vernaculaire ; également par certains traités sur la pauvreté, la mendicité et autres dispenses, que ces Béguins affirment et croient avoir été écrits par lui, et qu’ils détiennent sous forme de traductions en langue vulgaire Ils disent et croient que le Frère Pierre Jean, ci-dessus mentionné, a obtenu ses connaissances grâce à une révélation directe accordée par Dieu, surtout celles contenues dans son commentaire sur l’Apocalypse. Ils dérivent également les erreurs et opinions ci-dessus évoquées de la tradition orale, remontant aux enseignements qu’il a divulgués auprès de ses proches et aux Béguins alors qu’il était encore vivant, et qui ont ensuite été récités aux autres par ceux qui les ont reçus à l’origine. Ils vénèrent ces traditions comme si elles étaient authentiques et comme s’il s’agissait de documents irrécusables.
Ces Béguins des deux sexes avaient également en partie reçu leur instruction de la part de complices et de disciples de Pierre Jean. De plus, certains Béguins, séduit par leur propre imagination, ont ajouté des éléments de leur propre chef, tel un peuple aveuglé par les ténèbres, se muant en maîtres de l’erreur plutôt que d’être disciples de la vérité. De nombreuses choses qui ont une application plus générale dans les écrits d’Olivi ou dans ceux de ses disciples, par ces Béguins, suivant la pente de leur intelligence dépravée, sont appliquées à eux-mêmes et à ceux qu’ils appellent leurs persécuteurs. Ainsi trébuchent-ils d’erreur en erreur, allant de mal en pis.
En effet, on se doit de reconnaître que le commentaire sur l’Apocalypse, évoqué plus haut, fut en Avignon dans l’année du Seigneur 1319, l’objet d’un examen diligent par huit maîtres en théologie, qui y ont trouvé de nombreux articles qu’ils considèrent comme hérétiques, en même temps que bien d’autres contenant de la falsification, des erreurs intolérables, de la témérité, ou des prédictions sur des évènement incertains, encore à venir. Leur jugement a été couché par écrit dans un document à la disponibilité du public et ils y ont apposé leurs sceaux. Vous avez devant vous quelqu’un qui l’a vu, l’a lu d’un bout à l’autre, l’a tenu entre ses mains et qui peut témoigner de sa vérité.
Néanmoins, il faut attirer l’attention sur le fait que parmi les Béguins se trouvent un certain nombre qui connaissent, acceptent et font l’objet de leur croyance d'un grand nombre, ou bien de la totalité, des erreurs dont la liste est inventoriée plus bas. Parmi eux, il y a ceux qui en sont plus imprégnés et donc plus endurcis. D’autres ont du mal à parler de ces erreurs, mais lorsqu’on les questionne, on trouve parfois qu’ils sont plus endurcis dans leur croyance que bien d’autres. D’autres encore en ont moins entendu parler ou n’en ont plus guère souvenir, et se rendent par conséquent plus facilement aux raisonnements appuyés et à des conseils plus sains. D’autres ne font que persister dans leur obstination et refusent de se rétracter, choisissant la mort plutôt que d’abjurer leurs erreurs, déclarant qu’en la matière ils ne font que défendre la vérité de l’Evangile, la vie du Christ, et la pauvreté évangélique et apostolique. Quelques-uns, cependant, veulent éviter de s’empêtrer dans l’erreur ou les opinions erronées et tentent de s’en protéger.
3. Ce qui suit traite de leur mode de vie :
Les Béguins susmentionnés, habitant de villages ou de petites villes, demeurent dans de petites maisons, quelques fois à plusieurs et en commun. Leur propre terme pour désigner ces habitations est « maisons de pauvreté ».Dans ces maisons, aux jours de fête et le dimanche, ceux qui y résident, avec d’autres Béguins qui habitent à part dans d’autres maisons, et les intimes et les amis des Béguins, s’assemblent tous ensemble pour lire ou entendre lire les livres ou les œuvres dont il a été question plus haut, et dont ils s’infectent du poison, bien que certains autres choses y sont lues également, telles que les Dix Commandements, les articles de la Foi, les légendes des saints, et la Somme des vices et des vertus, afin de déguiser l’école du Diable sous une apparence de bonté, et faire semblant d’imiter l’école du Christ sous certains aspects.
Néanmoins, il faut savoir que les préceptes de Dieu et les articles de la Foi doivent être prêchés et exposés publiquement par des recteurs et des pasteurs de l’Eglise et par des enseignants et des prêcheurs de la parole de Dieu, et non dans le secret par de simples laïques.
Il faut également savoir qu’il y a parmi eux certains qui mendient en public, allant de porte en porte, parce que, disent-ils, ils se conforment à la pauvreté évangélique. Et il y en a d’autres qui ne pratiquent pas la mendicité publique, mais qui se font un revenu en travaillant de leurs mains, et qui observent une vie de pauvreté. Il existe cependant également quelques Béguins plus simples des deux sexes qui n’ont pas connaissance explicitement des articles et des erreurs inventoriés plus bas, mais qui en ignorent tout. Cependant, parmi ceux-ci, il y a certains qui considèrent communément comme imméritée ou injuste la condamnation de Béguins effectuée par des prélats et des inquisiteurs de la dépravation hérétique à partir de l’an 1318 de notre Seigneur dans de nombreux endroits dans la Province de Narbonne (c’est-à-dire à Narbonne, à Capestang et à Béziers, aux environs de Lodève, dans le diocèse d’Agde, et autour de Lunel dans le diocèse de Maguelonne), à Marseille et en Catalogne. Ils ont tendance à penser que ces condamnés étaient des personnes justes et bonnes.
4. Concernant les signes extérieurs grâce auxquels on peut les reconnaître jusqu’à un certain point :
Il faut savoir que, comme l’écrit Augustin dans son ‘Contre Faust’ : « il est impossible que les hommes soient liés ensemble dans une religion, qu’elle soit vraie ou fausse, sans qu’ils soient réunies par la commune participation dans quelque signe ou sacrement visible ». Ainsi les Béguins observent-ils certaines pratiques spéciales de la sorte, et affichent-ils certains modes de comportement dans l’échange de paroles et dans d’autres domaines à travers lesquels ils peuvent être reconnus par les autres. Leur manière de saluer ou de retourner une salutation est comme suit : Quand ils arrivent chez quelqu’un ou qu’ils pénètrent dans une maison ou qu’ils se rencontrent au cours d’un voyage ou dans la rue, ils disent : « Béni soit Jésus-Christ », ou « Béni soit le nom de Jésus-Christ ». Encore, lorsqu’ils prient à l’Eglise ou en un autre lieu, ils restent communément assis avec le capuchon sur la tête, penché en avant, en se tournant le visage vers le mur en face ou un lieu similaire, mais paraissent rarement prier à genoux avec les mains jointes comme les autres le font. Aussi, lors du repas de midi, après avoir effectué la bénédiction de la nourriture, ceux qui le connaissent récitent le ‘Gloria in excelsis Deo’ en s’agenouillant. Au repas du soir, ceux qui le connaissent récitent la Salve Regina, également à genoux.
5. Ce qui suit traite des articles de foi erronés, schismatiques, téméraires et mensongers des Béguins et Béguines susmentionnés et de leurs disciples :
Tout d’abord, ceux qu’on appelle communément Béguins – même s’ils se disent eux-mêmes ‘Pauvres Frères de la Pénitence du Tiers Ordre de Saint François’ – croient et affirment que ni le Seigneur Jésus-Christ (pour autant qu’il était homme), ni ses disciples étaient propriétaires de quoi que ce soit, ni individuellement, ni collectivement, parce qu’ils étaient parfaitement pauvres en ce monde. Encore, ils affirment que le fait de ne rien posséder ni individuellement, ni en commun, constitue la perfection de la pauvreté évangélique. Et encore, que le fait de posséder quelque chose en commun amoindrit la perfection de la pauvreté évangélique. Et encore, que les apôtres n’auraient pu posséder quoi que ce soit, ni individuellement, ni collectivement, sans en diminuer d’autant leur perfection et sans péché. Et encore, ils disent que cela relève de l’hérésie que de croire ou d’affirmer quoi que ce soit qui dirait le contraire.
Encore, ils disent que la règle de Saint François est la vie même de Jésus-Christ, que Jésus l’a observée en ce monde, et qu’il l’a transmise à ses apôtres, en leur en imposant l’observation. Encore, qu’en sa règle, Saint François a transmis la pauvreté évangélique susmentionnée aux Frères de son ordre, de sorte que les adhérents à la susdite règle ne peuvent rien posséder, soit individuellement, soit collectivement, au-delà d’un usage limité nécessaire à la vie, qui doit toujours porter l’empreinte de l’indigence de la pauvreté et ne doit rien comporter de superflu. Encore, ils disent que le Bienheureux François, après le Christ et sa mère (certains disent après les apôtres aussi), a été le plus éminent pratiquant de la vie évangélique et de sa règle, aussi bien que son rénovateur à l’occasion de cette sixième période de l’Eglise dont ils disent que nous sommes actuellement les témoins. Encore, ils disent que la règle susmentionnée de Saint François représente l’Evangile du Christ, ou est impossible à distinguer de l’Evangile du Christ.
Encore, disent-ils, le pape Jean XXII, en mettant en circulation une certaine constitution qui commence par le mot Quorundam, laquelle concède aux Frères Mineurs le droit de faire provision de blé et de vin dans des silos ou des caves à la discrétion de leurs supérieurs, en vue d’une consommation future, a agi contre la pauvreté évangélique, et par conséquent, disent-ils, contre l’Evangile du Christ. Ainsi, disent-ils, ce pape est devenu hérétique et par conséquent a perdu tout pouvoir papal de lier et de délier, et d’autres choses encore (tant qu’il persistera à agir de la sorte), et que les prélats élevés par lui depuis qu’il a mis cette constitution en circulation sont privés de toute compétence juridique et de tout pouvoir. Encore, que tous les prélats qui ont donné leur consentement à la mise en circulation de la susdite constitution, ou qui y consentent savamment, par cet acte même sont devenus des hérétiques, et s’ils s’y obstinent en toute connaissance de cause, se privent de fait de toute compétence juridique ecclésiastique. Encore, disent-ils, ces Frères Mineurs qui ont demandé qu’on leur accorde cette constitution, ou qui y consentent ou qui s’y soumettent aujourd’hui, ou encore qui s’en servent, sont par leurs actions mêmes devenus des hérétiques.
Encore, ils disent que le pape ne peut pas, avec l’approbation divine, légitimer le transfert d’un Frère Mineur vers quelque autre Ordre religieux, au sein duquel, à l’instar des autres, ce Frère deviendra détenteur de biens en commun, même si un tel transfert est effectué avec la permission papale. Car, disent-ils, cela entraînerait la dégradation depuis un état ou grade de perfection et de vertu plus élevé, vers un état moindre et inférieur, et privilégierait le fait de détruire sur celui de construire, alors que le pouvoir du pape ne lui a été accordé que pour édifier, et non pas pour démolir. Encore, ils disent que si un quelconque Frère Mineur, quelle que soit la permission papale dont il disposerait, venait à se transférer librement vers un autre Ordre religieux, il n’en est pas moins dans l’obligation d’observer à perpétuité le vœu de pauvreté qu’il a prononcé en premier lorsqu’il a accepté la règle de Saint François. C’est-à-dire qu’il ne peut posséder quoi que ce soit individuellement, ou en commun, au-delà de ce qui est en conformité avec la pauvreté.
Encore, ils disent que si un quelconque Frère Mineur devait devenir évêque ou cardinal ou même pape, il aurait toujours la même obligation perpétuelle d’observer le vœu de pauvreté prononcé par lui en premier lieu lorsqu’il a adopté la règle de Saint François, et que par conséquent qu’il ne devrait s’occuper que de l’administration des affaires spirituelles et déléguer toutes les affaires temporelles entre les mains d’un commissionnaire compétent. Encore, ils disent qu’il n’est pas du pouvoir du pape d’établir des dispenses concernant la taille et la qualité de habits portés par les Franciscains en contradiction avec la règle de Saint François, autorisant ainsi l’introduction du superflu. Les Frères ne doivent pas lui obéir en cette matière, ni en aucune autre qui les conduirait à contrevenir à la règle de Saint François. Encore, ils disent que la condition de l’Ordre des Frères Mineurs, dont les vœux et les promesses consistent à accepter la pauvreté évangélique, représente la condition la plus élevée de l’Eglise de Dieu, et que celle des prélats ne peut rivaliser avec sa perfection, bien que les prélats qui appartiennent à l’Ordre des Frères Mineurs, et ayant par conséquent promis la pauvreté évangélique (qu’ils sont sous obligation perpétuelle d’observer), conserve ce même degré de perfection s’ils observent le vœu qu’ils ont prononcé en premier.
Encore, ils affirment que ces quatre Frères Mineurs qui, en l’an de notre seigneur 1318, furent brûlés à Marseille par l’inquisiteur de la dépravation hérétique (lui-même membre de l’ordre des Frères Mineurs), ont été condamnés en tant qu’hérétiques parce que, ainsi que le disent les Béguins, ils souhaitaient observer la susmentionnée règle de Saint François, en préservant sa pureté, sa vérité et sa pauvreté, et ne voulait pas cautionner le relâchement de la Règle, ni accepter la dispense accordée par le pape susdit à ce propos, ni lui obéir, pas plus qu’à d’autres, sur ce point. Ils disent que ces Frères ont été condamnés injustement parce qu’ils défendaient la vérité de la règle évangélique. Ainsi ils disent que ces Frères n’étaient pas hérétiques, mais plutôt des catholiques et de glorieux martyrs. Ils disent leurs prières et leurs intercessions auprès de Dieu. Encore, ils sont nombreux à dire qu’ils les considèrent comme n’étant pas de moindre mérite devant Dieu que les martyrs Saint Laurence et Saint Vincent. Encore, certains affirment que le Christ fut à nouveau crucifié spirituellement dans le supplice de ces Frères Mineurs, formant ainsi comme les quatre bras de la Croix, et que la pauvreté et la vie du Christ avaient été condamnés avec eux.
Encore, ils disent que le Seigneur Pape susmentionné avait donné l’ordre ou son consentement ou consentirait toujours, à ce que les susmentionnés Frères Mineurs soient condamnés en tant qu’hérétiques par l’inquisiteur. Pour cette raison, il est devenu lui-même hérétique, le plus grand de tous, puisqu’en tant que tête de l’Eglise, il se doit de défendre la perfection évangélique. Ainsi, disent-ils, il a perdu son pouvoir papal, et ils ne le croient même plus pape, méritant l’obéissance des fidèles, car à partir de ce moment-là, laissé vacant son titre de pape.
Encore, ils disent que tous ceux que l’on appelle communément Béguins (mais qui se nomment eux-mêmes ‘Pauvres Frères pénitents du Tiers Ordre de Saint François’), qui ont été condamnés en tant qu’hérétiques au cours de ces trois dernières années (c’est-à-dire à partir de l’an 1318) par les jugements prononcés par des prélats et des inquisiteurs de la dépravation hérétique dans la province de Narbonne (à savoir, à Narbonne, à Capestang et à Béziers, autour de Lodève, dans le diocèse d’Agde, et autour de Lunel, dans le diocèse de Maguelonne) ; tous ceux qui ont cru que les quatre Frères Mineurs susmentionnés étaient de saint martyrs et en outre croyaient, soutenaient et éprouvaient les mêmes sentiments qu’eux au sujet de la pauvreté évangélique et du pouvoir du pape (c’est-à-dire, qu’il l’a perdu et est devenu hérétique) ; qui croyaient que les prélats et les inquisiteurs qui persécutaient les susdits Frères devinrent eux-mêmes hérétiques de ce fait, et que la doctrine de Pierre Jean Olivi était totalement véridique et de nature catholique ; que l’Eglise charnelle (c’est-à-dire l’Eglise de Rome) était en fait Babylone la Grande Prostituée, qui devait être détruite et jetée dehors, de la même façon qu’il en advint pour la Synagogue des Juifs au tout début de l’Eglise primitive ; ces Béguins, dis-je, tout en croyant et en défendant toutes ces choses, se disaient injustement condamnés du seul fait d’avoir défendu la vérité, et que loin d’être hérétiques, ils étaient des catholiques. Ils disent qu’ainsi ils sont devant Dieu de glorieux martyrs. Encore, ils disent que l’Eglise de Dieu finirait par reconnaître que ces quatre Frères Mineurs et les Béguins susdits condamnés pour hérésie sont de saints martyrs, et qu’il y aura un jour une fête solennelle instituée par l’Eglise en leur nom, exactement comme pour les grands martyrs.
Encore, ils disent que les prélats et inquisiteurs qui les ont jugés et condamnés en tant qu’hérétiques – et avec eux tous ceux qui ont consenti ou qui consentent actuellement de façon consciente – sont de ce fait devenus eux-mêmes des hérétiques (s’ils s’obstinent dans cette voie), et que par cette action ils ont perdu tout pouvoir ecclésiastique de lier et de délier, ou d’administrer les sacrements de l’Eglise. En outre, les chrétiens fidèles ne leur doivent plus l’obéissance. Encore, ils disent que tous et chacun des susmentionnés qui, disent-ils, sont devenus des hérétiques pour les raisons susdites, ne font plus partie de l’Eglise de Dieu, et ne sont plus comptés parmi le nombre de ses fidèles. Qu’ils sont plutôt à l’extérieur de l’Eglise de Dieu, s’ils s’obstinent dans cette voie. Encore, que tous ceux qui ne veulent pas croire ou refusent de prêter foi à ces mêmes articles auxquels croient les quatre Frères Mineurs et les Béguins condamnés pour hérésie, et tous ceux qui refusent de croire que les hérétiques condamnés étaient de glorieux martyrs ; de tous ceux-là, dis-je, ils affirment qu’ils ne font pas partie de l’Eglise de Dieu, et qu’ils sont placés à l’extérieur de l’Eglise.
Encore, ils disent que tous ceux qui soutiennent et croient ce que les Béguins ou Pauvres Frères du Tiers Ordre croient et soutiennent au sujet de tout ce qui est mentionné ci-dessus, et qui croient les mêmes choses que ceux qui étaient condamnées comme hérétiques croient et maintiennent, constituent l’Eglise de Dieu et vivent dans l’enceinte de l’Eglise de Dieu. Ce nombre peut également inclure d’autres membres ne provenant pas du Tiers Ordre, qu’ils soient clercs, membres d’autres Ordres religieux, ou même des laïques, pourvu qu’ils croient et argumentent de la même façon que les Béguins sur les sujets évoqués ci-dessus. Encore, de nombreux Béguins et Béguines, avec ceux qui y croient, ramassent et assemblent en secret les os et les cendres carbonisés des brûlés susmentionnés, ceux des condamnés pour hérésie, afin de les conserver comme reliques. On les embrasse et les vénère exactement comme les reliques des saints, ce dont témoignent la dévotion et la révérence qu’ils leur vouent, ainsi qu’il a été mis à nu et découvert par l’inquisition lors de confessions aussi bien que durant les dépositions obtenues au cours de la procédure juridique de certains Béguins qui avaient de telles choses en leur possession et avaient vu et avaient connaissance d’autres personnes qui en possédaient ou qui en avaient possédées autrefois. Nous-mêmes, lors de la procédure d’enquête, avons touché et vu de telles reliques trouvées parmi eux, et nous sommes ainsi à même d’apporter un témoignage direct. Encore, certains Béguins ont enregistré sous forme écrite les noms des condamnés ci-dessus évoqués avec les jours de leur martyre (selon leurs assertions), exactement de la même façon que l’Eglise de Dieu est accoutumée de le faire avec ses saints et ses martyres authentiques ; ils ont relevé leurs noms sur leurs calendriers et les invoquent dans leurs litanies.
Encore, ils disent qu’il n’est pas du pouvoir du pape d’accorder une dispense à qui que ce soit ayant prononcé un vœu de virginité ou de chasteté, même si ce vœu n’était que simple et non pas solennel, et cela quelque soit le bien qu’il pourrait en découler pour la communauté, par exemple, le retour de la paix dans tel ou tel province ou royaume, ou la conversion d’un peuple à la foi en Jésus-Christ ; car la personne dispensée s’abaisserait d’un degré de perfection plus haute et plus grande pour aller vers un degré de perfection moindre. Encore, ils ajoutent à ce sujet que même si toutes les femmes du monde étaient décédées, à part une seule qui avait fait le vœu de chasteté ou de la virginité devant Dieu, ce qui ferait que la race humaine tout entière disparaîtrait à moins que cette femme consente à se marier, il ne serait pas du pouvoir du pape d’accorder une dispense, et il n’incomberait nullement à la femme en question d’obéir au pape, s’il exigeait d’elle qu’elle se marie. Au cas où elle obéirait, elle commettrait un pêché mortel, et si elle n’obéissait pas et se trouvait de ce fait excommuniée, cette excommunication serait injuste et invalide. Et si elle devait subir la peine capitale pour cette raison, elle serait une martyre. Encore, certains d’entre eux disent que si une personne ayant fait un tel vœu entre en mariage, même si elle détient une dispense du pape, un tel mariage ne serait ni véritable, ni légitime, et les enfants qui en naîtraient ne serait pas légitimes, mais fruits d’un adultère.
Encore, ils disent que les prélats et les membres d’Ordres religieux dont la façon de s’habiller est trop voyante et trop coûteuse commettent une infraction contre la perfection évangélique et enfreignent le précepte du Christ, s’alignant plutôt sur l’enseignement de l’Antichrist. De tels prélats qui se promènent de façon ostentatoire appartiennent à la famille de l’Antichrist. Encore, disent-ils, il n’est exigible des Béguins ou des pauvres du Tiers Ordre de prêter serment devant les prélats ou les inquisiteurs sauf pour leur répondre en matière de foi ou d’articles de la foi, même s’ils ont été convoqués expressément pour être entendus à propos de la secte des Béguins et leur hérésie. Encore, ajoutent-ils, ils ne devraient pas être interrogés par les prélats et les inquisiteurs sur autre chose que sur les articles de la foi, les commandements ou les sacrements ; et si on les interroge sur d’autres questions, qu’ils n’ont aucune obligation d’y répondre, puisqu’ils sont, selon eux, des laïques et des personnes simples. Alors qu’en réalité, cependant, ce sont gens astucieux, rusés et sournois.
Encore, affirment-ils, ils ne sont pas dans l’obligation de prêter serment, et ne devraient pas être contraints par la force de révéler les noms de leur coreligionnaires, complices et associés, parce que, à ce qu’ils disent, cela leur placerait en infraction par rapport au commandement divin d’aimer son prochain, et bien au contraire, ne ferait que lui nuire. Encore, disent-ils, s’ils devaient être excommuniés pour cela, simplement parce que, au cours d’une procédure judiciaire ils ont refusé de prêter simplement et absolument serment de dire la vérité concernant autre chose que les articles de la foi, les commandements et les sacrements, et parce qu’ils refusent de répondre à quoi que ce soit d’autre sous serment ou de révéler leurs complices, une telle excommunication serait injuste, nulle et non advenue, et ils la traiteraient à la légère.
Encore, ils disent que le pape ne peut interdire aux Béguins sous peine d’excommunication de vivre de mendicité, même au cas où ils seraient capables d’exercer un métier pour assurer leur survie, et même s’ils ne s’adonnaient pas à l’étude des saintes écritures, puisqu’il ne convient pas qu’ils enseignent ou qu’ils prêchent. Car, disent-ils, leur perfection serait amoindrie d’autant, et c’est pourquoi il ne leur est point requis d’obéir au pape en la matière, et que sa sentence ne leur serait en rien contraignante. Si, disent-ils encore, on devait les condamner à mort sous ce prétexte, ils seraient de glorieux martyrs.
Encore, disent-ils que les enseignements et les écrits de Frère Pierre Jean Olivi, moine de l’Ordre franciscain, sont véridiques et véritablement catholiques. Ils croient en ces enseignements, et affirmant qu’ils ont été directement révélés au Frère Pierre Jean par Dieu, et qu’alors qu’il était encore vivant il aurait confié à ses proches associés que tel était bien le cas. Encore, ils se réfèrent très souvent au Frère Pierre Jean comme à un saint non-canonisé. Encore, ils disent que c’était un si grand docteur que, depuis l’époque des évangélistes et des apôtres, il n’y en a pas eu de plus grand, et certains ajoutent qu’il était encore plus grand par sa sainteté et dans son enseignement que ces derniers. Encore, quelques-uns parmi eux affirment qu’il n’y a jamais eu de docteur, à part Saint Paul et Pierre Jean Olivi susmentionné, dont les enseignements n’ont pas été réfutés en quelques points par l’Eglise, alors que l’ensemble de l’enseignement de Saint Paul et de Pierre Jean Olivi doit être accepté dans sa totalité par l’Eglise, sans y changer une lettre ou une virgule.
Encore, quelques-uns disent que Frère Pierre Jean disait la vérité quand il affirma que le Christ était encore vivant lorsque, suspendu sur la croix, on Lui a percé le côté avec la lance, car Son âme était encore en fait dans Son corps à ce moment-là, mais parce qu’Il était à ce point affaibli, Il paraissait mort à ceux qui l’observaient. L’évangéliste Jean le dit déjà mort parce qu’il en offrait toutes les apparences, alors que l’évangéliste Mathieu a écrit qu’il était encore vivant parce que tel était vraiment le cas, mais que l’Eglise a effacé ce passage de l’Evangile de Mathieu de sorte à effacer le désaccord entre Jean et lui.
Encore, ils disent que Frère Pierre Jean a été spirituellement désigné par cet ange dont il est écrit, dans l’Apocalypse 10, que son visage était comme le soleil, et qu’il tenait en sa main un livre ouvert ; parce que, disent-ils, la vérité du Christ et la compréhension de l’Apocalypse lui ont été ouvertes d’une façon particulière parmi les docteurs. En plus, dans son commentaire sur l’Apocalypse, qu’ils ont traduit en langue vulgaire, ils interprètent le passage susdit de cette façon-là. Encore, disent-ils, les écrits et les enseignements de Pierre Jean Olivi sont maintenant plus indispensables pour l’Eglise de Dieu que aucun autre écrit de tout autre docteur ou saint, mis à part les écrits des évangélistes et des apôtres, parce que, disent-ils, il y interprète plus complétement et plus finement la malice de l’Antéchrist et de ces disciples, c’est-à-dire, des nouveaux pharisiens, qu’ils identifient avec les actuels dirigeants de l’Eglise, les moines et les Frères. Encore, ils disent que si Dieu n’avait pas pourvu l’Eglise de Frère Pierre Jean ou de quelqu’un lui ressemblant, le monde entier serait hérétique et plongé dans les ténèbres de l’aveuglement. Encore, ils disent que ceux qui n’acceptent pas les enseignements et les écrits de Frère Pierre Jean sont aveugles, parce qu’ils ne voient pas la vérité de Jésus-Christ ; que ceux qui condamnent ou réprouvent sa doctrine sont hérétiques. Encore, ils disent que Frère Pierre Jean est cette lumière que Dieu a envoyée dans le monde, et que par conséquent ceux qui ne voient pas cette lumière marchent dans les ténèbres.
Encore, ils disent que si le pape devait condamner les enseignements ou les écrits de Frère Pierre Jean, il en deviendrait lui-même hérétique, parce qu’il aurait condamné la vie et les enseignements du Christ. Encore, disent-ils, si le pape devait condamner ses enseignements et ses écrits, ils ne les considéreraient pas comme étant effectivement condamnés, et s’il devait les excommunier à ce compte, ils ne se considéreraient pas comme excommuniés, qu’ils ne lui obéiraient pas, et ils ne lui abandonneraient pas les livres d’Olivi.Encore, les livres de Frère Pierre Jean trouvés en possession de ces Béguins ont été traduits du latin en langue vulgaire par certains de ses disciples. Ils comprennent son commentaire de l’Apocalypse ; un certain petit traité sur la pauvreté ; un autre, plutôt petit, sur la mendicité ; un autre sur les sept esprits malins ; et certains autres écrits, qu’ils attribuent à Olivi, qu’ils aient été écrits par lui ou par quelqu’un d’autre en se basant sur ses enseignements et sa tradition orale (car ils reflètent tous les mêmes dogmes). Ils lisent ces livres en langue vulgaire entre eux, à leurs intimes et à leurs amis lors de leurs conciliabules et dans ces petites habitations qu’ils appellent « maisons de pauvreté ». Ils utilisent ces enseignements pestilentiels pour s’instruire eux-mêmes et, si possible, d’autres.
Encore, informés ou plutôt déformés par les enseignements qu’ils dérivent du commentaire de l’Apocalypse de Pierre Jean, ils disent que l’Eglise charnelle (voulant dire par là l’Eglise romaine telle qu’elle existe, non seulement dans la ville de Rome, mais dans l’ensemble des territoires sous juridiction romaine) est Babylone, la Grande Prostituée dont Jean parle dans l’Apocalypse. Ainsi ils appliquent ces passages à l’Eglise de Rome et attribuent à l’Eglise toutes les mauvaises choses qu’on y trouve écrites, par exemple qu’elle serait ivre du sang des martyres de Jésus-Christ. Et ils interprètent ce passage comme se référent au sang des quatre Frères Mineurs condamnés et brûlés en tant que hérétiques à Marseille, et le sang des Béguins du Tiers Ordre condamnés et brûlés comme hérétiques dans la province de Narbonne ces dernières années, ainsi qu’il est mentionné plus haut, hauts dignitaires de l’Eglise qui car ils affirment que ces gens étaient des martyrs de Jésus-Christ. Encore, ils affirment que l’Eglise est ivre du vin de sa fornication avec tous les rois de la terre, c’est-à-dire, les rois, princes, les hauts dignitaires de l’Eglise qui recherchent la gloire de ce monde.
Encore, ils distinguent entre deux églises, l’église charnelle dont ils disent que c’est l’Eglise de Rome, contenant toute la multitude des reprouvés, et l’église spirituelle, qui contient ces personnes qu’ils décrivent comme étant spirituelle et évangélique, qui imitent la vie du Christ et des apôtres. Ils disent que cette dernière est la leur. Certains, cependant, disent qu’il n’y a qu’une seule église qu’il appelle Grande Prostituée charnelle, à cause des reprouvés qu’elle contient, mais également spirituelle, vierge et sans tâche, à cause des élus, qu’ils nomment les évangéliques, par cette expression voulant se désigner surtout eux-mêmes, qui disent qu’ils acceptent, défendent et sont prêts à mourir pour la pauvreté évangélique. Encore, ils affirment que l’église charnelle, qui signifie pour eux l’Eglise de Rome, doit être détruite de fond en comble avant la venue de l’Antéchrist grâce à une guerre menée contre elle par Frédéric, l’actuel roi de Sicile, et ses complices, les dix rois signifiés par les dix cornes de la bête dans l’Apocalypse. Et ils croient en certaines autres fables erronées et délirantes concernant la guerre menée par le roi Frédéric contre le roi de France et le roi Robert.
Encore, ils affirment qu’à la fin de la sixième période de l’histoire de l’Eglise – à savoir la présente période qui commence sous Saint François – l’église charnelle, Babylone, la Grande Prostituée, doit être rejetée par le Christ exactement comme la Synagogue des Juifs fut rejetée parce qu’elle avait crucifié le Christ, car cette Eglise charnelle crucifie et persécute encore la vie du Christ en persécutant ces Frères de l’Ordre franciscain qu’ils appellent pauvres et spirituels. Ils appliquent également cela à la persécution à la fois des membres du Premier et du Tiers Ordre dans les provinces de Provence et de Narbonne. Encore, ils enseignent que, exactement comme, lorsque le Christ a rejeté la Synagogue des Juifs, un petit nombre furent élus grâce auxquels l’église primitive fut fondée, une fois que l’Eglise charnelle sera rejetée et détruite, resteront quelques élus, des individus pauvres et spirituels, dont la grande majorité proviendra des Premiers et Tiers Ordres de Saint François, et que par leur entremise sera fondée, durant la septième et dernière période commençant avec la mort de l’Antéchrist, une Eglise spirituelle qui sera humble et bienveillante.
Encore, ils affirment que tous les Ordres religieux existants seront détruits durant la persécution de l’Antichrist excepté celui de Saint François, lequel est divisé par eux en trois parties. La première consiste en ceux qu’ils appellent la Communauté, la deuxième regroupe tous ceux qui se trouvent en Italie et qu’on appelle les Fraticelli, la troisième rassemble ceux qu’on appelle ‘spirituels’ et qui observent la règle de Saint François dans sa pureté spirituelle, ensemble avec les Frères du Tiers Ordre qui adhèrent aux [idées des] spirituels. Ils disent que les deux premières parties seront détruites, mais que la troisième sera maintenue en vie, selon la promesse faite par Dieu.
Encore, certains d’entre eux soutiennent que sur ces élus, individus par l’entremise desquels sera fondée une nouvelle Eglise bienveillante et spirituelle, le Saint Esprit sera déversé dans une abondance plus grande, ou du moins dans une égale mesure, que sur les douze apôtres, les disciples de Jésus-Christ, au jour de la Pentecôte, au temps de l’Eglise primitive. Et ils disent que l’Esprit Saint descendra sur eux telle la flamme d’une fournaise ardente, ce qu’ils interprètent comme signifiant que non seulement leurs âmes se rempliront de l’Esprit Saint, mais que celui-ci élira demeure également dans leurs corps.
Encore, certains d’entre eux maintiennent qu’il y aura un double Antéchrist ; le premier, spirituel ou mystique, le second l’Antéchrist réel, le plus grand des deux, et que le premier ouvrira le chemin au dernier. Et, disent-ils, le premier moindre Antéchrist est l’actuel pape, sous le pontificat duquel ils se voient persécutés et condamnés. Encore, ils ont délimité le temps à l’intérieur duquel le plus grand des deux Antichrists – qu’ils pensent être actuellement déjà né – devra se manifester, commencer à prêcher et puis achever sa carrière. Certains disent que tout cela va se réaliser d’ici 1325, d’autres pas avant 1330 ; d’autres encore qu’il faille attendre 1335. Encore, ils affirment que lorsque l’Antéchrist mourra, les individus spirituels évoqués ci-dessus, qu’ils appellent les évangéliques and sur lesquels l’Eglise [nouvelle] sera fondée, prêcheront devant les douze tribus d’Israël et convertiront douze mille de chaque tribu, composant ainsi un total de 144000. Ces derniers formeront alors la milice désignée comme marqués du signe du Dieu vivant par l’ange, qu’ils interprètent comme étant le Bienheureux François, car il portait les stigmates des blessures du Christ. Cette milice marquée du signe du Dieu vivant fera la guerre à l’Antéchrist et sera tuée par lui avant la venue d’Elie et d’Enoch.
Encore, répandant d’autres fables, ils affirment que lorsque l’Eglise charnelle sera détruite, surviendront une grande guerre et un grand massacre du peuple chrétien, et qu’une grande multitude qui avait pris la défense de l’Eglise charnelle sera anéantie dans cette guerre ; que, alors que presque tous les hommes seront morts, le restant des femmes chrétiennes aura un tel besoin d’hommes qu’elles étreindront les arbres. Ils proposent encore un très grand nombre de fables à ce sujet, qu’on pourra lire dans le commentaire en langue vulgaire susmentionné. Encore, ils disent qu’après la destruction de l’Eglise charnelle, les sarrazins viendront occuper les terres chrétiennes, arrivant dans le royaume de France en passant par Narbonne, et qu’ils abuseront des femmes chrétiennes, en conduisant bon nombre en captivité. Ils disent que tout cela a été révélé à Frère Pierre Jean à Narbonne. Encore, disent-ils, aussi bien au temps des persécutions de l’Antéchrist qu’en celui de la guerre susmentionnée, les chrétiens charnels seront affligés à un tel point, que par désespoir, ils diront : « Si le Christ était Dieu, Il ne permettrait pas que les chrétiens souffrent à ce point et subissent un mal aussi insupportable ». Se désespérant ainsi, ils apostasieront de la foi et mourront. Mais Dieu cachera les individus spirituellement élus de sorte qu’ils ne puissent pas être trouvés par l’Antéchrist et ses ministres. Alors l’Eglise sera à nouveau réduite à la taille que l’Eglise primitive possédait lors de sa fondation, de sorte qu’il n’en restera à peine douze membres, grâce auxquels l’Eglise sera [re]fondée et sur lesquels le Saint Esprit sera déversé avec une abondance égale ou même plus grande que lors de l’Eglise primitive, ainsi qu’il est relaté plus haut.
Encore, ils disent qu’après la mort de l’Antéchrist, ces individus spirituels convertiront le monde entier à la foi du Christ ; et le monde entier deviendra si sage et si bienveillant qu’il ne subsistera ni péché ni malice dans les gens de cette période, sauf peut-être des péchés véniels chez quelques-uns ; et que tout sera en commun pour ce qui concerne l’usage ; que plus personne ne fera offense à autrui, ni poussera les autres à pécher. Car régnera entre eux l’amour le plus grand, et ils ne formeront qu’un seul troupeau sous la houlette d’un seul pasteur. Suivant l’avis de certains, cet état et cette période dureront cent ans. Puis, au fur et à mesure que l’amour finira par manquer, la malice s’insinuera à nouveau et augmentera en force peu à peu, jusqu’à ce que le Christ en soit, en quelque sorte, réduit à revenir pour le jugement universel.
Encore, ces malades mentaux d’hérétiques vitupèrent sérieusement et ignominieusement contre le Seigneur pape, le vicaire de Jésus-Christ, le désignant comme l’Antéchrist mystique, précurseur de l’Antéchrist majeur, celui qui aplanit la voie pour la vie de ce dernier. Encore, il le désigne comme un loup rapace que les fidèles doivent fuir ; un prophète borgne ou aveugle ; Caïphe le grand prêtre qui a fait condamner le Christ ; et Hérode, qui s’est moqué du Christ sur le ton de la plaisanterie. Ils disent qu’il est tout cela parce que, soi-disant, il aurait condamné la vie du Christ et l’aurait méprisé dans la vie de ses pauvres. Encore, ils disent qu’il est le sanglier sauvage de la forêt et cette bête sauvage qui a la singularité de détruire et de ruiner le mur ou l’enclosure de l’Eglise (1Ps. 79 :14) de sorte que les chiens et les porcs puissent y pénétrer - à savoir, ces hommes qui déchiquètent et piétinent la perfection de la vie évangélique. Et ils affirment que cela occasionne plus de dommages à l’intérieur de l’Eglise que ne l’ont fait toutes les hérésies antérieures accumulées, parce qu’à l’époque de celles-ci l’Eglise a pu conserver son intégrité, alors que maintenant celle-ci ressemble non pas à l’Eglise de Dieu mais davantage à la Synagogue du Diable. Ils disent que de son vivant (celui du pape Jean XXII) l’Eglise charnelle sera détruite. Que lui-même, bien seul et accompagné de deux cardinaux, s’en réchappera et devra vivre caché, jusqu’à ce qu’il en meure de chagrin et de douleur.
Voilà quelles affirmations délirantes et infectées d’hérésie sont proclamées par la secte pestilentielle évoquée ci-dessus, les Béguins. Tout cela et d’autres choses encore, qu’il serait trop long de narrer ici. Je les ai entendues de leurs propres bouches au fur et à mesure de mes enquêtes inquisitoriales. En lisant leurs livres, nous avons également obtenu la confirmation que ces affirmations sont nombreuses à s’y retrouver également ; et elles sont encore plus abondamment représentées dans les confessions obtenues au cours de la procédure judiciaire que nous avons mise en œuvre contre eux. Cependant, on les a collationnées et présentées ensemble ici en un seul document de façon à les avoir plus facilement à portée de main.
L’enquête inquisitoriale fut menée contre eux dans la province de Narbonne à partir de l’année du Seigneur 1318, et dans la province de Toulouse et de Pamiers durant l’année 1321 et par la suite.
6. Ce qui suit traite de la façon dont il convient d’interroger les Béguins :
Il faut reconnaître et garder à l’esprit que parmi ces Béguins certains ont fait de bonnes études et se connaissent mieux que d’autres dans la portée des articles précédents, ayant été davantage instruits ou mieux formés à leur propos ; car il est coutumier chez eux de s’initier en passant du mauvais à l’encore pire, distillant leur doctrine peu-à-peu plutôt que de la divulguer en une seule fois. Ainsi, dans le processus de l’investigation un inquisiteur habile peut soit questionner à propos de toutes ces choses à la fois, soit à propos de quelques-unes seulement, soit encore en se limitant à une seule, en mettant de côté toutes les autres, comme cela lui paraîtra expédient, compte tenu de l’origine sociale ou de la condition de la personne qu’on examine, et des contraintes de l’office inquisitorial. Ainsi, nous présentons une liste de questions à poser ci-dessous, basée sur les erreurs qu’elles ont la faculté de révéler ; cependant il ne faudrait pas en conclure qu’il faudra les poser toutes à la suite à chacune des personnes interrogées. Bien au contraire, il ne faudra poser que celles que chaque inquisiteur individuel considérera comme appropriées, de sorte à adapter la manière et le style de l’inquisition à chaque cas spécifique. Ainsi grâce à des questions bien posées et les réponses qu’elles susciteront, on découvrira plus subtilement et plus facilement la vérité, alors que la supercherie sera plus rapidement détectée, lorsque la personne interrogée ne répondra pas clairement et correctement à la question, en cherchant à éviter de faire une réponse directe en s’abritant derrière un abri de mots. On apprend de façon plus approfondie ces choses grâce à l’expérience.
6. Questions particulièrement pertinentes en ce qui concerne l’interrogation des Béguins contemporains :
Tout d’abord l’enquêteur devrait demander à l’interrogé, où et par quel officiel il a été reçu et a revêtu cet ordre. Encore, demandez-lui s’il a été interrogé sur sa foi par l’évêque de cet endroit ou par l’un de ses suppléants, car le Seigneur pape Jean XXIII a décrété et établi que toute autre forme d’interrogation est sans validité, nulle et non advenue. Ensuite, demandez-lui quelles personnes il a fréquentées par la suite, et où à chaque fois.
Encore, si l’enquêté n’est pas un Béguin, mais un de leur grands croyants et de parmi leurs amis, et ainsi suspecté de partager leurs erreurs, demandez-lui quand il a commencé à croire en eux et quand il s’est associé avec eux sur une base de familiarité. Ensuite, il faudra demander à l’interrogé s’il a entendu certains d’entre eux enseigner et affirmer que le Christ et les apôtres ne possédaient rien, ni individuellement, ni en commun ; s’il les a entendu dire que de soutenir ou de croire le contraire est hérétique ; s’il a entendu affirmer que le fait de posséder des choses en commun diminue la perfection de la pauvreté évangélique ; s’il a entendu dire ou affirmer que – et s’il croit lui-même – que la règle de Saint François est une seule et même chose que l’Evangile du Christ ou est l’Evangile du Christ ; s’il croît ou a jamais cru que, de la même manière que la pape ne peut rien changer d’un iota ce qu’il y a dans l’Evangile ni y ajouter, ni en retrancher quoi que ce soit, de la même façon il ne peut rien changer dans la règle de Saint François, rien y ajouter, ni rien en soustraire en ce qui concerne les vœux et les conseils évangéliques, ni en ce qui concerne les préceptes qu’elle contient ; s’il croit ou s’il a cru, ou même l’a jamais entendu affirmer que le pape ne peut supprimer ni la Première règle ni le Tiers Ordre fondé sur la Troisième règle, en enlevant l’un ou l’autre du nombre des Ordres religieux, comme il est parfois arrivé pour d’autres Ordres.
Encore, demandez-lui s’il a entendu affirmer, ou a jamais cru ou croit encore que le pape n’a pas le pouvoir de promulguer une décrétale suivant laquelle il donne dispense ou concède aux Frères Mineurs le droit de stocker du blé et du vin pour satisfaire à leurs futurs besoins communs, à leur propre usage, suivant les décisions de leurs administrateurs. Demandez-lui s’il a entendu dire, s’il a, à une époque, cru ou s’il croit toujours que le Seigneur pape Jean XXII, en promulguant la décrétale qui commence par Quorundam, texte dans lequel on dit qu’il aurait donné dispense ou concédé aux Frères Mineurs le droit de posséder des stocks de blé ou de vin de la manière susdite, aurait agi contre la pauvreté évangélique ou contre l’Evangile du Christ. Encore, [demandez-lui] s’il a entendu dire, s’il croit ou a cru par le passé qu’il est interdit à tout Frère Mineur d’obéir au Seigneur pape en ce qui concerne la dispensation susmentionnée ou en aucun autre cas où celui-ci aurait modifié quoi que ce soit à la règle, même si le pape a ordonné, en vertu de l’obéissance et sous sanction d’excommunication, qu’elle soit mise-en-place et observée par tous les Frères. Ensuite, demandez-lui s’il a entendu dire, à une époque a cru ou croit encore que le Seigneur pape Jean XXII, en promulguant la décrétale susmentionnée, avec la dispense qu’elle contient, de ce fait même est devenu hérétique, et a perdu le pouvoir papal de lier et de délier.
Encore, demandez-lui s’il a entendu dire, a cru ou croit encore que le pape n’a pas le pouvoir d’autoriser un Frère Mineur de se transférer vers un autre Ordre au sein duquel il détiendra des possessions en commun de la même façon que les autres membres de cet Ordre, mais que, bien au contraire, il restera sous l’obligation d’observer le vœu de la pauvreté sur lequel il s’est engagé suivant la règle de Saint François, et ne pourra donc être propriétaire ni individuellement, ni collectivement. Encore, demandez-lui s’il a entendu dire, a jamais cru ou croit toujours qu’un Frère Mineur, même une fois ordonné Evêque ou nommé Cardinal, sera toujours dans l’obligation d’observer le vœu de pauvreté qu’il a prononcé suivant la règle de Saint François. Ensuite, demandez-lui s’il a entendu dire, a cru ou croit encore, que le pape n’a pas en son pouvoir de dispenser qui que ce soit d’un vœu de chasteté ou de virginité, même dans tel ou tel cas spécifique, et même si le vœu n’était qu’un engagement simple, non sacralisé, et quelque grand bénéfice pour la communauté pourrait en résulter ; et que tout mariage contracté par la suite par une personne ainsi dispensée serait nul et non advenu. Encore, demandez-lui s’il a entendu dire, a jamais cru ou croit toujours que le pape n’est pas en droit de donner une dispense à qui que ce soit pour lui permettre de se libérer de son vœu de pauvreté simple.
Encore, demandez-lui s’il était conscient du fait que certains Frères Mineurs ont été brûlés en tant qu’hérétiques à Marseille par un inquisiteur de la dépravation hérétique appartenant à leur propre Ordre, et s’il connaît la raison de cette condamnation. Encore, demandez-lui s’il a cru ou croit toujours qu’ils étaient catholiques et de saints martyrs, ou s’il a connu d’autres personnes qui les tenaient pour martyrs, ou s’il a entendu dire, ou croyait lui-même, que ceux qui les ont condamnés en tant qu’hérétiques ont agi injustement, et ce faisant sont devenus eux-mêmes hérétiques et persécuteurs de la pauvreté évangélique. Encore, demandez-lui s’il a entendu dire, a jamais cru ou croit toujours que le pape est devenu hérétique et à perdu son pouvoir papal en consentant à ce que ces quatre Frères Mineurs soient condamnés en tant qu’hérétiques à Marseille.
Encore, demandez-lui s’il a su que certains Béguins, aussi bien mâles que femelles, qui se nomment ‘Pauvres du Tiers Ordre de Saint François’, ont été au cours de ces dernières années condamnés par le jugement d’évêques et d’inquisiteurs de la dépravation hérétique dans la province de Narbonne et ailleurs encore. Encore, s’il sait sur quels territoires ou dans quelles villes de cette province ils ont été appréhendés et condamnés ? Et encore, combien de Béguins a-t-il entendu dire ont été condamnés ? Encore, sait-il pour quelle raison ils ont été condamnés en tant qu’hérétiques ? Et encore, a-t-il cru ou croit-il toujours que les Béguins condamnés en tant qu’hérétiques furent en fait de bons catholiques et de saints martyrs, et qu’ils ont subi la mort pour témoigner de la vérité ? Encore, connait-il ou a-t-il entendu parler de personnes qui croient, ou qui pensent ou qui disent, que ces mêmes hérétiques condamnés étaient de saints martyrs et donc sauvés ? Encore une fois, est-ce qu’il croit ou a jamais cru que ceux qui les ont condamnés en tant qu’hérétiques, par ce seul fait devenaient eux-mêmes hérétiques ? Encore, demandez-lui s’il a gardé en sa possession en tant que reliques des ossements, des cendres ou autres objets appartenant à ceux qui ont été condamnés et brûlés, par dévotion et révérence envers eux. Encore, de qui les tenait-il, ces objets, et quel usage en faisait-il ? Est-ce qu’il les baisait ? Encore, connaît-il d’autres personnes qui gardaient par devers eux des ossements ou des cendres en tant que reliques ? Encore, pensait-il que le Seigneur pape devenait hérétique et perdait son pouvoir papal en consentant à ce que les Béguins susmentionnés soient condamnés en tant qu’hérétiques ? Encore, demandez-lui s’il a cru ou croit toujours que les Béguins condamnés en tant qu’hérétiques et ceux qui croient comme eux forment la [véritable] Eglise de Dieu ou en font partie, tandis que ceux qui les ont condamnés ou ont consenti à leur condamnation en étaient exclus ? Encore, demandez-lui s’il a connaissance du fait que les jours où ces Béguins condamnés ont subi la mort ont été inscrits par certains sur des calendriers ou intégrés dans des litanies, exactement de la même façon qu’on fait avec les autres saints, ou s’il sait que leurs noms sont invoqués [dans la prière] et si leur secours a été imploré pendant des litanies ?
Encore, demandez-lui s’il a entendu affirmer par les Béguins que les évêques, moines, religieux ou clercs qui portent des vêtements superflus ou excessivement somptueux étaient en violation de l’Evangile du Christ et se rangeaient sous les ordres de l’Antéchrist ou font partie de ses proches ; ou que la pauvreté du Christ rayonne plus particulièrement à travers les vêtements en haillons des Béguins pauvres. Encore, s’il a entendu des Béguins affirmer qu’à l’époque moderne l’Eglise de Dieu et la foi en Jésus-Christ ne subsistent plus qu’au sein de l’humble communauté des Béguins pauvres appartenant au Tiers Ordre, et chez d’autres personnes pauvres qui ne persécutent pas ces derniers et ne combattent pas la règle évangélique de la pauvreté. Encore, demandez-leur s’ils ont entendu dire parmi les Béguins qu’il relève d’un plus haut degré de perfection de vivre de mendicité, que par le travail ou grâce au labeur de leurs bras, et que le pape n’a pas le pouvoir de les en empêcher, ni de leur interdire de mendier en public s’ils sont capables de vivre décemment, sous peine d’excommunication, puisqu’ils ne travaillent pas à prêcher l’Evangile, et qu’il ne leur est pas permis de prêcher.
Encore, en ce qui concerne les enseignements et les écrits de Frère Pierre Jean Olivi de l’Ordre des Frères Mineurs, s’il les a entendu lire à haute voix en langue vulgaire, ou s’il en a fait lecture a lui-même ou à d’autres, où et combien de fois et quelle compagnie ? Encore, lequel des livres de Pierre Jean Olivi a-t-il entendu lire ou a-t-il lui-même lu : le Commentaire sur l’Apocalypse, le Traité sur la Pauvreté, celui sur la mendicité, ou quelque autre œuvre ? Encore, est-ce qu’il considère ou croit que les écrits et les enseignements de Frère Pierre Jean sont véridiques et catholiques ? Encore, a-t-il entendu dire par les Béguins ou par quelques-uns de leur nombre que ses écrits et ses enseignements sont plus indispensables pour l’Eglise de Dieu que ceux d’aucun autre docteur ou saint, excepté les apôtres et les évangélistes, ou qu’il est le plus grand docteur de l’Eglise depuis les apôtres et les évangélistes ? Encore, a-t-il entendu dire ou exposé parmi les Béguins que Frère Pierre Jean est lui-même cet Ange dont il est écrit dans l’Apocalypse que « son visage était pareil au soleil et il tenait en sa main un livre ouvert », suivant exégèse spirituelle du passage, parce que, comme l’affirment les Béguins, dans son Commentaire sur l’Apocalypse la vérité sur le Christ et la signification de ce livre ont été révélés d’une façon unique ? Encore, demandez-lui s’il a entendu dire parmi les Béguins que le pape n’a pas le pouvoir de condamner les enseignements ou les écrits de Frère Pierre Jean, puisqu’ils ont été [directement] révélés par Dieu, ainsi qu’ils l’affirment ; que si le pape les condamnait, il condamnerait du même coup la vie du Christ ; que les Béguins refuseraient de les croire condamnés, et n’obéiraient en rien au pape en la matière ; et qu’il ne se considéraient pas comme excommuniés par lui sur ce compte. Encore, re-interrogez-le sur ce qu’il croit ou a cru par le passé à propos des affirmations ci-dessus énumérés concernant les enseignements et les écrits de Frère Pierre Jean.
Encore, demandez-lui ce qu’il a entendu dire parmi les Béguins à propos de ce que, au cours de sa vie, Frère Pierre Jean a prédit et enseigné à ses associés et aux Béguins concernant la situation de l’Eglise et autres choses approchantes. Encore, demandez-lui ce qu’il a pu lire ou entendre lire du Commentaire susmentionné. Est-ce qu’il a lu ou a entendu lire qu’il existe sept périodes dans la vie de l’Eglise, et qu’à la fin de la sixième – laquelle, selon ce commentaire a commencé avec Saint François ou avec sa règle - l’âge de l’Eglise Romaine est appelé à prendre fin de la même façon que l’âge de la Synagogue a pris fin avec l’avènement du Christ ? Qu’au commencement de la septième période, dont ils disent qu’elle débutera avec la mort de l’Antéchrist, une autre, toute nouvelle Eglise renaîtra et prendra la succession de la première, l’Eglise de Rome, désormais rejetée et jugée ? Encore, demandez-lui s’il a entendu exposer et expliquer dans le susdit Commentaire que l’Eglise de Rome est Babylone, la Grande Prostituée dont il est écrit dans l’Apocalypse que c’est la cité du Diable qui sera finalement condamnée et rejetée par le Christ, de la même façon que la Synagogue des juifs a été condamné et rejetée. Encore, demandez-lui s’il a entendu lire ou exposer que la prééminence dont jouit actuellement l’Eglise de Rome sera transférée à la Nouvelle Jérusalem, qu’ils interprètent comme étant une certaine Eglise nouvelle et à venir à la fin de la sixième période et au commencement de la septième.
Ensuite, demandez-lui s’il a entendu lire ou exposer que la sixième période, commencée au temps de Saint François, observera plus parfaitement la règle évangélique de la pauvreté et le conseil de la patience que toute autre période précédente. Encore, demandez-lui s’il a entendu exposer que la règle de Saint François est véritablement et très précisément cette vie évangélique que le Christ a Lui-même observée et qu’Il a imposée à Ses disciples, et sur laquelle le pape n’exerce aucun magistère. Encore, demandez-lui s’il a entendu exposer que la règle de Saint François doit subir les attaques iniques et se voir persécutée méchamment par l’orgueilleuse Eglise charnelle, de la même façon que le Christ aurait subi les attaques et la condamnation de la Synagogue des Juifs. Encore, demandez-lui s’il a entendu dire ou exposer dans le Commentaire ci-dessous mentionné que le Bienheureux François est, après le Christ et sa mère, le plus grand observateur de la vie évangélique et de sa règle ; qu’il était, après le Christ, le premier et principal fondateur, initiateur, et modèle de la sixième période de l’Eglise et de la règle évangélique ; que l’état ou la règle de Saint François sera, tout comme l’a été le Christ, crucifié vers la fin de la sixième période ; que le Bienheureux François resuscitera alors corporellement dans la gloire, de sorte que, tout comme il a été assimilé aux Christ de singulière façon aussi bien dans sa vie qu’en recevant les stigmates de la croix, il sera également assimilé au Christ par une résurrection du corps.
Encore, demandez-lui s’il a entendu exposer que la persécution ou la punition dirigées contre ceux qui s’obstinent dans leur adhésion à la secte des Béguins serait, pour ainsi dire, une autre forme de crucifixion de la vie du Christ, un autre percement de ses mains, de ses pieds, de son côté. Encore, demandez-lui s’il a entendu des exposés au sujet du Sanglier, l’Antichrist mystique, assimilé à Caïphe entrain de condamner le Christ et aux moqueries de Hérode ; et au sujet du grand Sanglier, le grand Antéchrist, assimilé à Néron et à Simon le Mage. Encore, demandez-lui s’il a entendu exposer que l’état évangélique est l’état de ces pauvres individus qui, selon eux, sont persécutés et punis par l’Eglise de Rome parce qu’ils n’obéissent pas, mais plutôt se rebellent contre le pouvoir apostolique et contre les arguments et les déclarations promulgués par le Siège apostolique concernant le rôle de Saint François.
Encore, demandez-lui s’il a entendu exposer que dans la treizième année centenaire après la passion et la résurrection du Christ, les Sarrasins et les autres infidèles vont être convertis par l’Ordre de Saint-François, avec cependant de nombreux martyrs parmi les Frères Mineurs ; et qu’en la treizième année centenaire après la naissance du Christ, Saint François et son ordre évangélique sont apparus ; et qu’au treizième siècle après la mort et l’ascension du Christ cet Ordre évangélique sera élevé sur la croix et sa gloire se répandra sur toute la terre ; et que pendant la période où la vie et la règle évangélique seront attaquées et condamnées – et ils affirment que tout cela se passera sous le règne de l’Antéchrist mystique (qu’ils identifient avec un des papes) et sera parachevé sous le Grand Antéchrist – le Christ, son serviteur François, et la foule évangélique de ses disciples descendront des cieux spirituellement pour s’opposer à toute l’iniquité et les erreurs du monde ; et de la même façon que l’Ordre des apôtres a prêché au monde entier au début, ainsi l’Ordre évangélique de Saint François prêchera au monde entier et le convertira entre les époques de l’Antéchrist mystique et du Grand Antéchrist ; et que la Bête qui descend du ciel de l’Apocalypse fait référence à un pseudo-pape et à ses pseudo-prophètes, qui n’exécuteront pas directement les gens comme le fera la Bête qui remonte de la mer de la laïcité temporelle, mais qui tueront les saints (que les Béguins désignent comme faisant référence à eux-mêmes) ; et que la sixième tête du Dragon est, selon leur façon d’exposer, l’Antichrist mystique, un pape, tandis que le septième tête est le Grand Antichrist, lequel fait alliance avec un puissant roi.
Encore, demandez-lui ce qu’il a entendu dire parmi les Béguins au sujet de l’époque de l’Antéchrist et de l’année de son arrivée ; et quoi d’autre parmi les innombrables choses qu’il a entendues dire contre l’Eglise de Rome, ses dirigeants, ses moines, ses religieux et ses prêtres ; et qu’est-ce qu’il a entendu dire d’autre parmi les innombrables prédictions téméraires sur l’avenir contenues dans le Commentaire mentionné ci-dessus.
8. Enseignement ou instruction sur comment déjouer la ruse et la malice de ceux qui, lorsqu’on exige d’eux de jurer de confesser la vérité au cours de la procédure judiciaire, ne le veulent pas.
Puisque, cependant de nombreux Béguins – ceux qui s’appellent les Pauvres Frères de la Pénitence et du Tiers Ordre de Saint François – veulent cacher et dissimuler leurs erreurs en employant la ruse sournoise pour ce faire, ils refusent de jurer qu’ils diront la vérité à leur propre sujet et à propos de leurs complices, vivants ou déjà morts, même si cela est coutumier et, de fait, juridiquement obligatoire. Quelques-uns acceptent de jurer, mais veulent le faire, non pas simplement et absolument, mais sous protestation, conditionnellement, et avec certaines réservations explicites, à savoir qu’ils n’ont pas l’intention de jurer ou d’être placés sous obligation par un serment solennel de dire quoi que ce soit qui offenserait Dieu ou qui entraînerait des préjudices ou des dommages pour leurs voisins. Ils disent, cependant, que cela offense Dieu lorsque l’Eglise de Rome persécute, damne ou condamne les Béguins, leur secte, puisque, selon eux, ils observent et défendent la vie du Christ et la pauvreté évangélique (C’est-à-dire qu’ils les observent telles qu’ils les comprennent et l’argumentent, et cette compréhension découle clairement de ce qui a été exposé plus haut). Encore, ils disent que cela offenserait Dieu s’ils devaient abjurer et renier ces articles de foi que nous, les inquisiteurs et les dirigeants de l’Eglise jugent erronés et de contenir de l’hérésie, car ils maintiennent qu’ils ne sont rien de tels, mais sont bien plutôt en accord avec la vérité de l’Evangile. Ainsi appellent-ils bon ce qui est mauvais et mauvais ce qui est bon, transformant la lumière en ténèbres et les ténèbres en lumière.
Encore, ils disent que cela entraînerait des dommages et des préjudices pour leurs voisins qu’ils dénoncent leurs complices et leurs frères dans la foi aux inquisiteurs, car cela conduirait à ce que leurs voisins subissent la persécution aux mains de l’Inquisition et à ce qu’ils subissent de graves préjudices. Tel un peuple d’aveugles, ils ne parviennent pas à comprendre que Dieu n’est en rien offensé lorsque l’erreur est mise à jour et que la vérité est décelée, ou lorsque quelqu’un qui est perdu sur le chemin tortueux de l’erreur est ramené vers la droite voie de la vérité et abjure son erreur. Ils ne voient pas non plus que bien plutôt que de porter préjudice à leurs voisins, cela constitue un bienfait pour eux que les égarés soient reconduits vers le chemin et la lumière de la vérité, de peur qu’ils ne soient infectés encore davantage, et qu’à cause de leur pestilentielle contagion, ils ne conduisent vers l’égarement beaucoup d’autres, tels des guides aveugles qui conduisent ceux qui les suivent dans le fossé.
Ainsi, afin de combattre leur malice et leurs ruses, il faut prendre soin au cours des procédures judiciaires de les contraindre à jurer simplement et absolument, sans condition ni réservation, qu’ils diront toute la vérité et rien que la vérité en ce qui les concerne, mais aussi en ce qui concerne leurs complices, croyants, bienfaiteurs, recéleurs et protecteurs, en conformité avec l’interprétation de l’inquisiteur, sans artifice ni perfidie, que cette confession les concerne eux-mêmes ou bien d’autres, qu’ils soient entrain de répondre à des questions, d’avancer des arguments ou d’opposer des dénis, durant toute la durée de l’enquête. Autrement, ils commettront le parjure et s’exposeront au châtiment correspondant.
Ainsi, il faudra être bien prudent, pour éviter qu’ils ne prennent le serment sous condition, avec des réserves, ou en état de protestation ; et il faut leur expliquer que ce n’est en rien offenser Dieu, et que Dieu n’est en rien offensé comme ils le croient et le disent, lorsqu’au cours de la procédure juridique on se met en devoir de rechercher la vérité, tandis que l’erreur et l’hérésie sont mises à nu. Et que dans toutes ces questions, le jugement de l’inquisiteur, et non pas leurs opinions erronées, doivent déterminer la voie à suivre. Encore une fois, il doit leur être expliqué que leurs voisins ne pâtiront en rien, qu’ils ne subiront aucun préjudice ni aucun dommage, ainsi qu’ils le disent, car tout cela rejaillit dans le sens de leur bien et du salut de leurs âmes, lorsque ceux qui sont ainsi contaminés et impliqués dans une erreur sont détectés, de sorte à ce qu’ils puissent être corrigés et convertis de l’erreur pour emprunter la voie de la vérité, de peur qu’ils ne soient encore plus contaminés eux-mêmes et n’infectent ou ne contaminent d’autres avec leur erreur.
Si cependant ils s’obstinent en toute connaissance de cause à refuser de jurer, sauf avec les conditions et les réservations citées ci-dessus – à savoir, refusent lorsqu’ils en reçoivent l’ordre du tribunal, de jurer qu’ils diront précisément qu’ils diront toute la vérité et rien que la vérité – alors, une fois qu’ils auront reçu l’admonestation suivant le droit canonique, une sentence écrite d’excommunication doit être prononcée contre celui qui, lorsqu’on lui demande avec insistance de jurer, refuse, à moins que cette personne n’obtempère et prenne le serment immédiatement, ou du moins pendant le temps imparti par le juge qui préside, par miséricorde ou par équité ( même si lorsque on lui demande de jurer précisément et simplement, il est de fait sous obligation légale de s’exécuter immédiatement, sans le moindre délai). La sentence d’excommunication, une fois rédigée, couchée sur papier et promulguée, doit être inséré dans les minutes du procès.
Si quelqu’un est l’objet d’une sentence d’excommunication, et obstinément, et en toute connaissance de cause, endure cette sentence [sans se soumettre] pendant plusieurs jours, le cœur endurci, alors il faut le faire paraître à nouveau devant la cour, et lui demander s’il se considère comme étant excommunié. S’il répond qu’il ne se considère pas excommunié, et qu’il ne se considère pas non plus comme étant lié par cette sentence, alors on tiendra la preuve évidente par ce fait même qu’il tient les clés de l’Eglise en mépris et fait outrage à la cour, ce qui constitue déjà un article de l’erreur et de l’hérésie. Quiconque persévère dans une telle attitude doit être considéré comme hérétique. Ainsi, cette réponse doit être insérée dans les minutes du procès, et la personne doit être poursuivie ainsi que la loi l’exige. On doit l’admonester de se désister de l’erreur dont il est question plus haut et l’abjurer, s’il ne le fait pas, à partir de ce moment-là, il se verra juger en tant qu’hérétique, condamné en tant que tel, et en tant que tel livré au jugement d’un tribunal séculier.
On doit cependant noter que, pour prouver sa malice, pour faire ressortir plus clairement son erreur et mettre en relief le fait que la procédure engagée contre lui est justifiée, on pourra prononcer par écrit contre lui une autre, nouvelle sentence d’excommunication, en tant que personne contumace dans une question de foi. On doit le considérer ainsi parce que quelqu’un qui obstinément, en toute connaissance de cause, refuse de jurer simplement et précisément qu’il répondra concernant ces questions en rapport avec la foi, et qui de même refuse d’abjurer ce qui constitue clairement une erreur et de l’hérésie, se montre comme pratiquant la fuite d’une façon non moins contumace que si, en d’autres circonstances, il avait décidé de ne pas se présenter au tribunal. Une fois que la sentence prononcée contre lui, on doit l’en informer, et la notification doit lui en être remise sous forme écrite. Si la personne, ayant été excommuniée pour une question de foi, persiste ainsi, le cœur endurci, pendant plus qu’un an, alors selon le droit, non seulement elle peut, mais elle doit être condamnée en tant qu’hérétique.
En plus, on peut entendre des témoins – s’il en existe – contre un tel individu. Il pourra lui-même être contraint par divers moyens, y compris la privation de nourriture et le fait de devoir porter des chaînes. Il pourra même, sous le contrôle de personnes qualifiées, être mis à la question afin de débusquer la vérité, selon que la nature de l’affaire en cours et la condition de la personne en question l’autorisent.
9. La formulation de la première sentence peut figurer comme suit :
Puisque vous, untel provenant de tel ou tel endroit, avez été arrêté ou cité à paraître en tant que suspect, rapporté, dénoncé ou accusé en tant qu’adhérant aux erreurs et aux opinions erronées des Béguins, qui se nomment ‘Pauvres Frères du Tiers Ordre de Saint François’ – erreurs qu’ils entretiennent et répandent contre la vraie foi, l’Etat de l’Eglise Sainte et Universelle de Rome, et l’autorité apostolique – ainsi vous a-t-on amené devant nous, untel, inquisiteur, qui vous avons demandé et admonesté plusieurs fois, selon la forme légale, de jurer que vous direz toute la vérité, et rien que la vérité aussi bien concernant vous-même que vos complices, croyants, et bienfaiteurs, tant vivants que morts, en ce qui se rapporte à l’affaire de l’hérésie et par-dessus tout des erreurs et des opinions erronées de certains Béguins qui s’érigent en opposition à la foi, à l’Eglise de Rome, au Siège apostolique et au pouvoir du pape et d’autres dirigeants de l’Eglise romaine, vous, vous refusez de jurer simplement et absolument, en disant que vous ne le ferez que sous certaines conditions, avec des réserves et en état de protestation – conditions, réserves et protestations qui sont entièrement étrangères au droit et contraires à la raison – Moi, l’inquisiteur susmentionné Untel, vous ordonne et vous admoneste une fois, deux fois, trois fois, selon la forme légale, sous peine d’excommunication, de prêter serment devant nous sur l’Evangile de Dieu, en bonne et due forme, simplement, absolument, sans réserve ni condition contraire au droit et à la raison, de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité concernant vous-mêmes, vos complices, croyants, bienfaiteurs et protecteurs, vivants ou morts. Agissant en tant que témoin, dîtes tout ce que vous savez, avez su, avez vu, croyez ou avez cru concernant l’hérésie, et spécialement concernant les erreurs et les opinions erronées et schismatiques soutenues par vous-même et par d’autres Béguins du Tiers Ordre de Saint François, et concernant tout autre sujet en rapport avec l’affaire de la dépravation hérétique. Et par miséricorde et grâce je vous accorde comme premier terme depuis cette heure-ci jusqu’à la sixième heure de ce même jour, et en deuxième terme depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième, et en tant que troisième terme depuis la neuvième heure jusqu’aux vêpres, ou jusqu’à la fin de ce même jour. Et à moins que dès avant ce terme final vous ne prêtez serment de la façon ci-dessus indiquée, les admonestations légales ayant été prononcées, par l’autorité apostolique dont je suis porteur à travers l’office de l’Inquisition, par ce même document écrit je vous excommunie et passe sentence d’excommunication contre vous, et vous en fais tenir copie, pour autant que vous le souhaiterez et le demanderez. Cette sentence fut prononcée tel jour, en tel endroit, les personnes suivantes étant présentes, etc.
10. La formulation de l’autre sentence d’excommunication contre quelqu’un qui est contumace, doit ressembler à ce qui suit :
Nous, l’inquisiteur Untel, par l’autorité apostolique que nous portons en vertu de l’office de l’Inquisition concernant la dépravation hérétique, vous ordonne et vous admoneste une fois, deux fois, trois fois, selon la forme légale, que vous, untel de tel ou tel endroit, jurez de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité sur vous-mêmes et vos complices concernant les erreurs et les opinions erronées des Béguins du Tiers Ordre, et concernant certains autres sujets touchant la foi et relevant de l’office de l’inquisiteur de la dépravation hérétique ; encore, de nous demander humblement de bénéficier de l’absolution de la sentence d’excommunication prononcée contre vous à l’écrit, que vous avez encourue de votre propre chef et qui vous lie toujours ; et que vous reveniez à l’unité avec l’Eglise, en reconnaissant votre erreur et en abjurant en notre présence toute hérésie, de sorte que, ayant juré d’observer les prescriptions de l’Eglise et nos demandes, vous puissiez mériter d’être réconcilié avec l’Unité de l’Eglise. Et nous vous citons à paraître devant ce tribunal et de faire tout cela d’ici le troisième jour à partir de ce jour, en vous assignant le premier jour comme premier terme, le deuxième comme deuxième terme, le troisième comme troisième terme final. Après ce point, vous répondrez concernant la foi et ses choses dont vous êtes suspecté, dénoncé, accusé, en disant toute la vérité au cours de la procédure légale sur ce que vous avez fait ou que vous savez que d’autres ont fait contre la foi. Sinon, si vous avez manqué à la fin de ce jour-là d’accomplir toutes les choses susdites, dont toutes vous incombent juridiquement, par l’autorité apostolique que nous détenons à travers l’office de l’Inquisition, nous prononcerons contre vous la charge de l’excommunication en tant que contumace dans les affaires de la foi, parce que vous vous montrez évasif et refusez de façon irrespectueuse d’obéir en ces choses, et vous déclarons que si vous endurez avec obstination et en toute connaissance de cause cette excommunication pendant une année entière, nous vous poursuivrons en tant qu’hérétique. Et nous vous offrons copie de l’excommunication qui est prononcée sur vous, pour autant que vous le souhaiterez et le demanderez.
11. Conseils concernant la duplicité et les ruses de ceux qui, ne voulant pas répondre de façon claire et lucide, le font de façon ambigüe et obscure.
Il y a des gens malicieux et retors parmi les Béguins qui, afin de jeter un voile sur la vérité, protègent leurs complices et font obstacle à ce que leur erreur et leur fausseté ne soient mises à jour, en répondant avec tant d’ambiguïté, si obscurément, de façon générale et si confusément, qu’on ne peut arriver à la vérité claire et simple à partir de leurs réponses. Ainsi, si on leur demande de dire ce qu’ils croient à propos de quelque déclaration, ou de certaines déclarations qu’on leur énonce, ils répondent : « A ce sujet, je m’en tiens à ce que croit l’Eglise de Dieu », sans vouloir ni se commettre plus explicitement, ni répondre d’aucune autre façon. Dans ce cas, pour couper court à la ruse qu’il utilisent (ou plutôt dont ils abusent) en se référant de cette façon à l’Eglise de Dieu, il faut les questionner avec beaucoup de diligence, de subtilité et de perspicacité, en leur demandant ce qu’ils entendent par l’expression « l’Eglise de Dieu et s’ils veulent parler de l’Eglise de Dieu telle qu’ils l’entendent ; car, comme cela doit être clair en partant de la description des erreurs ci-dessus, ils utilisent la phrase « L’Eglise de Dieu » de façon trompeuse. Car ils disent qu’ils forment eux-mêmes avec leurs complices « l’Eglise de Dieu » [véritable] ou du moins en font partie. Mais ils ne considèrent pas ceux qui croient différemment et qui les persécutent, comme faisant partie de l’Eglise de Dieu.
Dans de telles affaires, du travail et de l’habilité sont nécessaires de la part de l’inquisiteur. En plus, on doit forcer ou contraindre de telles personnes de répondre clairement et explicitement concernant ce qui jusque là a été dit de façon générale, équivoque ou confuse, en utilisant la sentence d’excommunication, ainsi qu’il est décrit dans la section précédente.
12. Une description du trépas de Frère Pierre Jean Olivi, vénérée par les Béguins, homme ou femmes, et qu’ils lisent beaucoup ou entendent souvent lire entre eux.
Il faut noter en passant ici que les Béguins hommes ou femmes dans leurs conciliabules lisent ou entendent lire fréquemment et volontiers un certain petit ouvrage intitulé « Le Trépas du Saint Père », dans lequel on trouve le passage suivant :
Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, béni pour l’éternité, dans l’an de son incarnation 1297, le mercredi 14 mars, à la sixième heure, dans la cité de Narbonne, le très saint père et distingué docteur Pierre Jean Olivi a migré de ce monde en la cinquantième année de sa vie et à la treizième depuis son entrée dans l’Ordre des Frères Mineurs. Il est né dans le village de Sérignan, à mille pas de la mer dans le diocèse de Béziers, et son corps très saint gît en toute sainteté dans l’Eglise des Frères Mineurs de Narbonne, au milieu du chœur. Le progrès très admirable et parfait depuis la conversion de ce très saint homme jusqu’à la fin glorieuse de son séjour terrestre est à vénérer plus dignement par un saint silence que par des aboiements féroces de chiens enragés. Il subsiste cependant ce qui je pense ne doit pas être passé sous silence. Le père vénérable, vers la fin de son agonie, après avoir reçu l’extrême onction et alors que les membres du couvent entier des Frères Mineurs de Béziers se tenaient debout aux alentours, a dit que toute sa connaissance et son savoir avait été infusés en lui [directement] par Dieu, et que dans une église à Paris à la troisième heure il avait soudainement été illuminé par le Seigneur Jésus-Christ.
Voilà ce qui est contenu dans le petit livre susmentionné, que les Béguins hommes et femmes lisent et font lire dans leurs conciliabules avec grande dévotion par révérence pour lui, et en croyant sans la moindre réserve que toutes ces choses sont vraies. Néanmoins, son corps a été enlevé de cet endroit et caché quelque part en 1318. Beaucoup de personnes se demandent où son corps peut se trouver actuellement, et différentes personnes se contredisent à ce sujet.
Traduit par Patrick Hutchinson à partir d’une traduction anglaise du latin originel par David Burr (2004).