A+ A A-

« L”Église est un autre Kremlin »

HansInterview du théologien dissident Hans Küng

Selon le théologien suisse Hans Küng, la papauté se trouve aujourd'hui dans une « impasse». Hans Küng dénonce l'ambivalence du pape, à la fois « doux et sans pitié », et le conservatisme de la curie romaine.C'est un peu le jumeau « terrible » de Benoît XVI. Durant toute sa carrière, le théologien Hans Küng a côtoyé de près ou de loin l'autre grand spécialiste de sa génération, Josef Ratzinger, auquel il doit sa mise à l'index en1979 pour ses théories progressistes. A 82 ans, il publie Mémoires d'un rebelle (Cerf), deuxième tome de son autobiographie.

 L'Eglise est à nouveau dans la tourmente pédophile: en Irlande, des milliers d'enfants placés dans des institutions catholiques ont été abusés au cours de ce dernier demi-siècle et un scandale vient d'éclater en Allemagne. Le Vatican ferme-t-il encore trop souvent les yeux ?

Je viens de recevoir une lettre d'un ambassadeur me disant que l'autorité de l'Église d'Irlande est détruite à cause de ce scandale... Je me demande si un prélat osera un jour rappeler que c'est la Congrégation pour la doctrine de la foi [NDLR : gardienne du dogme, successeur directe de l’Inquisition], dirigée durant plus de vingt trois ans par Josef Ratzinger avant qu'il ne soit élu, qui centralise ces affaires et qu'elle sait très bien les étouffer. Les évêques qui ont couvert ces crimes sont tout autant fautifs que les prêtres isolés dans leur séminaire, lesquels, contraints par leur célibat, ne sont pas toujours capables de réagir de manière normale aux élans de la sexualité.

Quel jugement portez vous sur le pontificat de Benoît XVI ?

Nous nous trouvons aujourd'hui dans une impasse. La papauté actuelle est un système médiéval, absolutiste. L'Eglise fonctionnecomme un système totalitaire : c'est un autre Kremlin! J'ai cru que Benoît XVI, qui m'avait appelé courageusement après son élection pour discuter en toute amitié, trouverait le chemin pour franchir cet obstacle.Au lieu de cela, il a rétabli la messe en latin et tendu la main aux évêques intégristes schismatiques, qui sont antisémites et hostiles au concile de Vatican II.

Ce blocage est-il dû à sa vision du gouvernement de l'Eglise ?

Benoît XVI a une double nature: il sait être doux~ mais aussi sans pitié avec ceux qui ne partagent pas sa vision de l'Église. Il n'a jamais pratiqué le dialogue vrai. Mais la grande responsable de l'impasse actuelle est la curie romaine [NDLR : le sommet de la papauté, formé par les cardinaux des congrégations et les autres membres de l'« administration » papale]. Elle s'est toujours opposée aux acquis du concile et, après Vatican II, elle a essayé de reprendre l'avantage, en publiant un document réactionnaire après l'autre. Le plus grave est que cette approche est contredite par le message biblique. Les apôtres étaient mariés et les femmes ont joué un rôle considérable dans les communautés originelles. Elle est aussi en contradiction avec notre temps. Il est logique que les jeunes hommes d'aujourd'hui acceptent mal l'idée de ne jamais pouvoir former un couple. L'Église catholique est une Église Potemkine : elle brille en façade. Derrière, il y a les messes sans fidèles et les séminaires vides.

Le problème dépasse donc Benoît XVI ?

Oui, mais il a pris des décisions incompréhensibles, comme celle de placer des cardinaux réactionnaires aux postes les plus importants de la curie. Le secrétaire d'Etat, Tarcisio Bertone,
vient de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Le nouveau chef de la liturgie est totalèment sur la ligne d'avant Vatican II. Beaucoup de catholiques sont inquiets, ils ne veulent pas d'un retour à l'ancien régime.

Rappeler le dogme peut-il permettre de rendre le message chrétien plus audible ?

Cette stratégie est inefficace, car elle ne touche qu'une très petite partie de la population. Ce sont avant tout les mouvements conservateurs comme Communion et libération en Italie, qui `mobilisent leurs troupes

• Propos recueillis
par Claire CHARTIER

WWW.LEXPRESS.FR

25 Février 2010