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Peire Cardenal : Un serventes fauc en luoc de...

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Un serventes fauc en luoc de jurar [PC 335, XXXV, 216-8]
Peire Cardenal, trobador (XIII° siècle)
Composition musicale : Delphine Aguilera, Silvan Chabaud
Version chantée : Delphine Aguilera, Doctors de Trobar (Silvan Chabaud, Inti Cohen, Cédric Viala)
Accompagnement : Maurice Moncozet (Rebec), Cédric Viala (Sound System)
Tous droits réservés
Extrait de ‘LE CRI’ (Reprise de Crozada d’UEI IV en cours).
Traduction Patrick Hutchinson

Un serventes ferai au lieu de maudire
Et chanterai plutôt, de fureur et de dépit
Pour la mauvaiseté qui déborde de son lit
Faisant dépérir valeur et courtoisie.
Car je vois les fats admonester les fins,
Les escrocs prêcher aux honnêtes gens,
Les pervers montrer aux justes leur chemin.

Car ils l’auront par la force ou en don,
Avec des pardons ou de l’hypocrisie,
A force d’absoudre ou d’excommunication,
Avec des prêches, à coup de lapidation,
Avec le Bon Dieu ou par diablerie.

 Le naïf est bien pris au tourbillon du faux ;
Moi, je croyais que fraude et tromperie
Conduisaient tout droit en perdition,
Ores je vois qu’elles aboutissent au profit.
M’étonne qu’il n’y ait partout que brigandage
Tant l’homme aime méchanceté et la chérit
Et tient loyauté pour synonyme de plaisanterie.

Car ils l’auront par la force ou en don,
Avec des pardons ou de l’hypocrisie,
A force d’absoudre ou d’excommunication,
Avec des prêches, à coup de lapidation,
Avec le Bon Dieu ou par diablerie.

Glouton en poirier n’aime guère d’autre compagnie
Et les clercs font montre de cette gloutonnerie
Car partout au monde ils ne veulent fréquenter
Qu’hommes riches détenteurs de seigneurie
Pour leur extorquer des droits de succession,
Et qu’ils puissent prospérer et non dépérir ;
Ainsi devient-on riche sans payer comptant.

Car ils l’auront par la force ou en don,
Avec des pardons ou de l’hypocrisie,
A force d’absoudre ou d’excommunication,

Avec des prêches, à coup de lapidation,
Avec le Bon Dieu ou par diablerie.

Seigneur Bostia, Sire Adhémar m’avertit
Que si on veut se mettre à l’abri des clercs,
Bien plus que les actes, doit-on surveiller ce qu’on dit
Et ne pas se répandre en propos diserts ;
Ils savent vous soutirer ce que ne voudrez dire
Et quand bien d’autres ne sont enfants de chœur,
A côté de ceux-là ils passeront pour amateurs.

Car ils l’auront par la force ou en don,
Avec des pardons ou de l’hypocrisie,
A force d’absoudre ou d’excommunication,
Avec des prêches, à coup de lapidation,
Avec le Bon Dieu ou par diablerie.

N’ose répéter tout ce qu’eux ils osent faire
Car pouilleux jamais n’aima qu’on le peignât,
Pas plus qu’eux, de leurs fautes, qu’on dresse le constat.

 

Extrait de : Poésies complètes du troubadour Peire Cardenal (1180-1278), éd. René Lavaud, Toulouse, Privat, 1957.

Traduction: Patrick Hutchinson