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Lo Monge de Montaudon: Ennueg/Mes Ennuis
Fort m'enoia, s'o auzes dire [PC 305, 10]
Lo Monge de Montaudon, trobador auvernat (…1193-1210…)
Texte de référence pour ‘LE CRI’(Reprise de Crozada d’Uei IV en cours.
Traduction Patrick Hutchinson
Vous voulez savoir ce qui m’ennuie ?
Une grande gueule pas foutue d’agir,
Un barbouze qui ne songe qu’à occire
M’emmerdent, et un cheval qui tire ;
Et m’afflige, que Dieu me bénisse,
Un jeune qui traîne son bouclier
Et, sans coup férir, fait le caïd ;
Moine à barbe, clerc insipide
Et langue de pute me font bien suer.
Tiens pour ennuyeux : telle rombière,
Sans le sou vaillant, mais snob à souhait ;
Tel qui trop bichonne sa bourgeoise,
Soi-disant qu’elle serait de Toulouse ;
Et il me les casse, ce chevalier
Qui fait le mac loin de son foyer,
Alors que chez lui, on le fait chier
Et qu’il n’est bon que pour balayer,
Allumer le feu et piller le poivre.
Et je voue une sainte horreur
A gras poltron qui porte bannière,
A mauvais faucon qui casse sa lanière,
A peu de viande en vaste chaudron ;
Mais ce qui m’écoeure, par Saint Martin,
C’est peu de vin dans beaucoup de flotte ;
Croiser un estropié de bon matin
Me défrise, de même qu’un aveugle,
Leur route à eux ne me dit rien de beau.
J’abomine longue abstinence,
Viande mal cuite, dure comme soulier,
Prêtre qui ment et se parjure.
Vielle pute qui essaie de m’enjôler ;
M’insupporte, par Saint Bernard.
Le bonheur d’un homme vil et bas
Et puis aller au galop sur verglas
En fuyant à cheval avec son armure ;
Rien de pire, à part jurer aux dès.
Et m’assomme, par la vie éternelle,
Manger froid au plus fort de l’hiver,
Coucher avec une vieille en plein air,
En humant des relents de taverne ;
Et m’ennuie et m’est atroce,
Demander qui s’occupe de la vaisselle ;
Et j’ai horreur d’un mari féroce
Quand je lui vois une femme belle
Et qui tremble si je parle avec elle.
J’ai ma claque, par Saint Salvayre,
De mauvais vielleurs en bonne cour,
De beaucoup d’héritiers sur peu de terre,
D’un bon jeu entre mauvais joueurs ;
Et me sort du nez, par Saint Marcel,
Deux pelisses pour un seul manteau,
Sur un seul château, trop d’héritiers,
Riche homme qui n’aime dépenser;
Au tournois, tirs d’arbalète en traître.
Je déplore, Dieu me vienne en aide,
Une table longue à nappe trop courte,
Couper la viande avec des ongles sales,
Porter armure qui perd ses mailles ;
J’ai horreur d’attendre dans un port
Sous un ciel gris quand il pleut fort,
Voir deux bons amis en désaccord
M’accable, me navre pire que mort,
Quand je sais qu’ils se disputent à tort.
Vous dirai ce qui me déplait le plus :
Une vieille racoleuse ridicule
Qui fait le tapin par avarice,
Une donzelle qui fait la mijaurée ;
Je ne puis admettre, par saint Aron,
Dame en bonne chère au maigre con,
Ni seigneurie qui exploite à mort ;
Ne pouvoir dormir lorsqu’on a sommeil
Est le pire supplice de notre sort.
Bien d’autres choses me causent de l’ennui :
Chevaucher sans cape sous la pluie,
Trouver mon cheval avec une grosse truie
Entrain de lui bouffer son fourrage ;
Et m’occasionnent un immense dépit :
Monter un cheval mal sanglé,
Serrer une ceinture sans languette,
Homme méchant qui se claquemure
Et sans repos tant qu’il n’a fait le mal.