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Raimbautz d’Aurenga : Carta (Lettre)

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Lettre
Auteur : Raimbautz d'Aurenga (Raimbaut d'Orange, ...1147-1175...)
MS.G (Bertoni, Canzoniere provenzale della Blblioteca Ambroslana, R. 7: EDITION: Appel, Mélanges Jeanroy, p. 361.)
Texte source pour la Fin'Amors dans l'élaboration de Crozada d’Uei
Traduction : Patrick Hutchinson (2007)

Dame, qui vous vient en amitié
Et que traitez avec dureté,
En une chose vous clame merci :
Que veuillez bien écouter ceci,
Vous prie, et sans répondre
Avant de tout bien entendre,
Car il se peut qu’une fois lu
Il vous pèse moins qu’au début.
Dame, grand mal porte pour vous,
De la peine, ignorais tout,
Même si j’ai aimé d’autres fois,
Etant jeûne, sous d’autres lois,
Loyalement, sans mensonge,
Sans qu’à ce point le mal me ronge.
Nul autre amour ne m’a touché
Comme le vôtre m’a transpercé,
Ni jailli d’aussi profond
Que celui-ci, dont j’ignore le fond.

Jusque-là, j’ignorais en tout
Le mal d’amour, et ses durs coups ;
Amour me met en tel état
Ores, que chaleur me donne froid
Et grand froid me fait avoir chaud
Et m’abat plus je monte haut.
J’ai deux ennemis bien féroces,
Vous et amour, chacun atroce,
Mais le pire des deux, c’est bien vous,
Puisque m’enlevez joie et rire
Et le bien-être, et qui est pire,
Vous me dîtes en face ce dédain,
Alors qu’Amour, qu’invoque en vain,
Je ne sais où il peut loger :
Mais il ne pourra déroger,
Car de telle guise me fait aimer
Que l’amour est mal partagé ;
Les pièces du jeu sont mal parties,
Je vous aime, vous ne m’aimez mie.
Amour montre son manque d’équité,
Car il vous fait péter de santé,
Belle et vive, alors que blessé,
Je dois subir pire que mort ;
Car s’il me torturait à mort,
Et s’en contentait, lui saurait gré.
Mais qui souffre à perpétuité,
A pire que mort, sans être achevé.
Si l’Amour était si bien élevé
Pour un peu vous égratigner
- Ne serait-ce qu’une millième part
De ce qu’il m’a fait en un regard -
Avec ce peu il m’aurait consolé
Du mauvais coup qu’il m’a asséné :
Une plaie qui ne se voit dehors,
Mais au dedans brûle et dévore,
Où les soins ne sont de nul secours,
Quoi que savants, sans votre amour.
Et si l’issu en est la mort,
Amour et vous, en aurez les torts,
Par vous aurais pu m’en remettre.
Amour ne peut-il s’entremettre ?
Dame, ne puis lutter sur deux fronts,
Vous derrière, Amour devant.
Comment enfin me faire aimer de vous,
Si l’amour ne veut m’aider du tout ?
Si mes prières restent sans effet,
Plus n’en dirai - si je pouvais !
Mais Amour ne me laisse guérir,
Mais m’empêtre, sans pouvoir choisir,
Et me tourne les oreilles, les yeux
Vers ces terres, nul autre lieu,
Où plus êtes, mais que pour pleurer
Ce bonheur trop vite retiré.
Souvent pense ne plus vous voir,
Me tenant loin de votre pouvoir ;
Les premières fois que vous vis,
M’avez plaisamment entrepris,
Puis, plus allais vite de l’avant,
Plus vous alliez en freinant.
Si je vous voyais davantage,
Je craindrais pire encore à l’usage,
Et qu’à force vous me feriez pendre,
Quand ne veux mon souffle rendre,
Mais que pour Bon Répit vivre.
Je ne sais si semble ivre,
A vous de juger si je parle en fou
En disant ainsi, j’incline le cou.
Comme il vous plaira, me soumets,
Sans la force même de murmurer,
Ce qui me pèse, mais Amour m’ôte
Jusqu’à mon dernier antidote :
Si votre mal pouvais souhaiter,
Ce serait là chose partagée ;
De plus, si ne vouliez m’aimer,
Ailleurs au moins pourrais virer.
Mais c’est ce que ne puis promettre,
De moi-même n’étant plus le maître :
En ceci, vous pouvez vous flatter
Et enorgueillir, sans douter,
Car saurais-je que sans mentir
Jamais ne voudriez me chérir,
Ni de toute votre vie m’accorder
La grâce de votre intimité,
Aimer une autre, point ne pourrais,
Quelque beauté qu’elle ait ou aurait.
Ainsi l’on ne pourra m’enlever
De toujours vous vouer amitié,
Même si votre cœur m’est clos.
Dame, pourquoi parmi tous ces mots,
N’y a-t-il louange de la beauté ?
A dessein je ne l’ai louée,
Préférant l’évoquer en creux.
Et à mon gré il en ira mieux
Car déjà pour celle que vous avez,
Sais bien que pour vil me tenez.
Dame, maudits soient les miroirs !
(Et la beauté, dont tirez gloire !).
Dame, jamais miroir ne croyez !
Croyez qu’aussi belle soyez
Que vous vous voyez dans la glace ?
Folie, je vous le dis en face,
Car tout miroir est mensonger,
On devrait tous les fracasser.
Dame, celui qui vous flatte en rien,
Il ne le fait pour votre bien ;
Il croit plutôt pouvoir se moquer
Avec ses louanges, et vous escroquer.
Moi, je ne veux mentir jamais,
Dame, et ne vous dirai que le vrai
- Que puissance me soit enlevée ! -
Je ne vous loue en rien pour belle,
Mais dis qu’êtes noire plus que nielle.
Dame, partout publie et répand
Que plus que ne le dis, êtes laideron ;
Mais qu’une telle laide veuille se pencher
Un peu sur moi me plairait assez !
Dame, si je voulais bien écrire
Le souci que votre pensée m’inspire,
J’y serais encore d’ici un an ;
Je crains que vous m’en veuillez tant
Que n’ose faire long plaidoyer.
Droit, vous dis, sans me fourvoyer,
Dame, si votre homme est lésé,
Vos torts à vous seront clamés,
Car savez bien que suis vôtre
Et sous Dieu, n’ai d’autre maître ;
Sachez donc, sans le moindre doute,
Vous y perdrez par ma perte.
Dame, de mon peu de tort envers vous,
Jamais seul n’en serai absous,
Quand je me serai défendu,
Trouverez bien d’autres attendus.
Longtemps encore pourrez me contrer,
A jamais, sans vous démonter,
Dame, car entre vous et moi,
Il n’y a que nous deux, nul avocat.
Instruisons seuls notre affaire,
Et que mon désir soit enfin clair.
Ne plaidez rien devant la loi,
A nous-mêmes soyons cour et droit ;
Je crois que ma seule transparence
Vous servira de jurisprudence.
Ne pouvez-vous vous rendre à merci ?
Tout procès doit s’achever ainsi.
Quand il n’y a d’autre issu,
Merci doit avoir le dessus.
Donnez quartier, allégez ma peine,
Vous voyez bien, la coupe est pleine,
Dame, je n’ai d’autre caution
Et, à bout d’argumentation,
Merci vous clame, pitié, pardon,
Comme Dieu pardonne au larron !
Dame, si la mort me vient par vous,
Vous n’y trouverez votre compte non plus.
Me suppliciez-vous ? Le condamné
Qui se voit mort, l’est à moitié.
Mon récit à la fin n’est que soupirs,
Vaincu et soumis, pour le finir
Les pleurs emporteront mes dires,
Mais ce que tais, le dit ma pensée.
Merci, Dame, faîtes-moi quartier,
Merci réclame, ma douce amie;
Avant que mort ne s’ensuive, merci!

(Texte original en Occitan XII° siècle)

Donna, col qe'us es bos amics,
A cui vos etz mals et enics,
Vos clama merce d'una re:
C'aujaz so qe'us vol dir per be
Aici en esta carta escrit,
Ez escoutaz com o a dit;
E prega'us qe non respondaz
Tro qe tot auzit o aiaz;
Qe tal ren i aura ben leu
A1 fenir qe ja no'us or greu.
Donna, gran pena trauc per vos;
Anc mais non saubi mal qe's fos.
Eu ai amat ben autra vez,
Ves altra part on era frez,
Leialmen e senes enjan;
Mas anc mais no trais tan d'afan.
Anc mais null'amors no'm toqet
Lai on la vostra ira'm intret,
NI non isit de tan preon
Com aquesta, e no sai d'on.
Anc mais no saup qe's fos amors
Ni no senti de sas dolors;
C'Amors m'a mes en tal destreich
Q'en granz chalors mi dona freich
Et ab granz freich mi dona chaut,
E.m fai irat s'anc mi fez baut,.
Dos enemics ai trop mortals:
Vos et Amors, don qecs m'es mals.
Mas vos m'etz enemics de cor
Qi'm tollez ris, joi, e demor
E'm mostraz vostre mautalen,
E dizez me tot a presen;
Mas Amor no auch ni no vol
Ni no sai vos qal part s'estei:
Per q'eu non pues contendre a lui.
Mas greu m'es, car de mi no's fui,
C'amar vos mi fai de tal guisa
On nostr'amor es mal devisa:
Qe'us am e vos no amaz mi;
Fort mal joc partit a aici.
Amors se demostra vilana,
Qi vos fai estar baud'e sana:
E vec qe nafrat m'a tan fort
Q'eu cuit aver trop peich de mort,
Car si sol a mort m'estorzia,
Ja tan fort no m'en plagneria:
Car qi tot tems viu a dolor,
Peiz a de mort, qi no'1 secor.
S'Amors fos tan ben eseignada,
Se d'un pauc vos agues nafrada
- Sol neis de la milena part
Qe mi nafret en un esgart -
Ab aitan m'agra gen garit
D'aqel mal colp qe m'a ferit.
Ges la plaga. non par defora,
Mas dinz lo cor m'art et acora;
E no m'en pot valer mezina,
Ses vos, ja tan no sera fina;
E s'eu per aicho recep mort
Vos ez Amors n'aurez lo tort,
Qe'm pograz sanar e garir.
Ja no'us en calgra Amor blandir? -
Donna, non puosc ab toz contendre:
Vos pregar et Amor defendre;
Q'eu no vos pos ges fer amar
S'Amor no m'en vol ajudar.
Pos vei qe mos precs no mi val,
Laserai m'en, - si pogues al !
Mas Amor no'm laissa garir,
Qi m'a mes en aquest conssir;
Qe d'autra part non aug ni veich
Mas vas la terra e vas l'endreich
On mais vos vei, mais n'ai de dol
Per lo grant gauch qe far mi sol.
Soven pens qe ja mais no'us veia,
E qe de loing ses vos m'esteia;
Qe qant eu vos vi de premier
Vos me disez ben a sobrier,
Ez on plus annei a ennan
Evos m'o annez pejuran;
Per q'eu tem s'eu mais vos vezia
Qez ades m'en pejuraria;
C'atresait me feiraz aucir
Ez eu enqer no voil morir;
Qar sol pel Bon Respeith voil viure !
Non sai s'en fol mos dich vos liure,
Mas se vos me tenez per fol
D'aqo qe'us dic, enclin lo col.
Tot qan vos plaz m'es bon e bel.
Ja no'us farei autre revel.
Greu m'es qan mal no'us pos voler,
C'Amors no m'en dona poder;
Qe s'eu vos pogues voler mal
Nos fora alqes comunal;
D'aitan se no'm volcses amar
Qe'm pogra en altra part virar.
Mas d'aiqo sol non pos ja re
Car eu non ai poder de me:
D'aicho'm podez ben far orguoill !
Er agradaz s'e.us am e.us voill;
Qe s'eu sabia tot en ver
Qe ja pro no'm volsez tener,
Ni en trastota vostra vida
Vostra amistaz no'm fos cobida,
Autra non poria amar ges
Per nulla beltat qez agues
S1 no'm volez estre amia,
Aizo no'm podez tolre mia
Q'eu toz temps no'us sia amics,
Sitot m'es vostre cor enics.
Donna, car en mos dich no'us lau,
N1 vostra beltat no mentau?
Eu o faz ben a escien,
Q'en re mais no cuit aver sen;
C'a mon grat vos cujariaz
Qe ja tan bella no fussaz;
Car per la beltat qez avez
Sai be qe plus vil me tenez.
Donna, maldit sion miraill !
(E belleza, car no vos faill !)
Donna, ja miraill no crezaz !
Cujaz qe tan bella siaz
Com inz el miraill vos vezez?
Ben ez folla si o crezez,
Qe tot mirail son menzonger,
E foson fraich toz li enter.
Donna, ceus qi'us lauzan en re,
Sapchaz qe non o fan per be:
C'aitan vos volon escharnir
Can vos lauzan ab lor mentir.
Mas eu no'us serai ja mentire,
Donna, c’ades vos voil ver dire;
M'en crezaz, donna, qe'us dic ver
- Ja negun non aia poder -
Car eu no vos lau ges per bella
Anz dic q'ez negra com niella.
Donna, vas totas parz predic
Qe plus ez laida q'eu non dic;
Mas a mi foraz asaz genta
C'aitals laida res m'atalenta !
Donna, s'ieu volia dir
Tot aiqo q'eu de vos cossir,
No vos avria dich d'un an;
Mas eu tem no'm tornes a dan;
Per q'eu no'us en voil far lonc plait,
E dic vos be tot atresait,
Donna, se'l vostr'om pert en re
Sapchaz qe vos i perdez be.
Ben sabez qe vostre sui eu,
Ni non ai mais segnor soz Deu;
Per so sapchaz be tot de cert
Qe vos i perdez s'eu i pert.
Donna, del pauc tort q'eu vos ai
Ja sol no m'en razonarai,
E si n'auria asaz razos
Vos trobarez mas ochaisos.
Per jase mi podez durar;
Toz temps m'o podez contrastar,
Donna, car entre mi e vos
No voill plaides mais sol nos dos.
Qe ja nos partam d'est conten
Qe res mais non sap mon talen.
Je non plaidejaz re per leich;
Per vos metessa'm prendez dreich;
Ez eu i cuit ben dir tel re
O non podez trobar mesbe.
A merce non podez rendir?
C'ab aqo nos dei convertir.
Lai o neguna res non val,
Merces deu amortar lo mal.
Merces n'aiaz e chausimenl
No vos i traich autre guiren,
Donna, merce vos qer, si'us plai !
En mais guisas q'eu dir no sai
Aici.us qer merce e perdon,
Com Dieus perdonet al lairon.
Donna, s'eu recep mort per vos
Ja no vos sera negus pros.
Morai? - 0 eu ! Com hom mespres
Qe de meiz morç estai en pes !
Sospir mi fan fenir mon comde:
Ves vos mi lais vencut e domde !
Plor mi tol q'eu non puos plus dire,
Mas cho q'eu volgra dir, conssire...
Donna, merce vos qer, si'us plaz;
Per merce qe merce n'aiaz !
Merce vos clam, ma dolz amia,
Anz qe la Morz aissi m'aucia.
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