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Bernart de Ventadorn : Lo tems vai e ven e vire...
Lo Tems vai e ven e vire [PC 70, 30]
Bernart de Ventadorn, trobador limousin (..1147-1170…)
Editeur : Carl Appel, p. 180 (XXX)
Texte de référence pour la Fin’Amors dans l’ensemble du spectacle Crozada d’Uei
Traduction Patrick Hutchinson
Le temps va et vient et vire
Par jours par mois et par ans
Et las ! je ne sais que dire,
Toujours d'une est mon désir ;
D'une toujours sans varier
Que j'ai voulue et que je veux
Dont jamais n'eus jouissance.
Puisqu'elle n'en perd le rire,
M'en viennent et douleur et mal ;
A tel jeu m'a fait asseoir
Où l'on est deux fois perdant
- D'un seul côté soutenu,
Amour est forteresse perdue -
Tant qu'elle ne m'accorde sa paix.
Je ferais bien de m'en prendre
A moi-même et de raison ;
Jamais homme ne naquit de femme
Qui tant servit en pure perte ;
Et si elle ne m'en corrige,
Ma folie n'ira qu'en s’empirant :
Fou ne craint que qui le frappe
Plus jamais ne serai chanteur
Parmi l'école d'En Eble ,
Car mes chants ne m'aident guère,
Ni mes strophes ni mes airs ;
Rien que je puisse faire ou dire
Ne m'est du moindre profit,
Ni en rien elle ne s'amende
Si je montre mine joyeuse,
Dedans mon cœur il y a deuil :
Qui jamais vit pénitence
A faire avant que de pécher ?
Plus je cause, plus s'esquive ;
D'ici peu si elle ne s'amende,
On en sera aux adieux.
Mais c'est bien si elle me vainc
Et me plie à ses désirs,
Car, d'être injuste ou trop dure,
Bientôt viendra le repentir ;
Ainsi qu'enseigne l'Ecriture :
Un instant de vrai bonheur
Rend un seul jour meilleur que cent.
Je ne la quitterai jamais
Tant que je serai en vie ;
Même après la chute du grain,
Le blé continue sa danse ;
Même si parfois elle défaille,
Elle n'encourra pas de blâme,
Pourvu qu'ensuite elle s’en repent.
Ah, bon amour désirable,
Corps bien fait, et lisse et fin,
Douce chair bien colorée
Que Dieu forma de ses mains !
Toujours vous ai désirée,
Et nulle autre ne me plaît.
D'autres amours ne veux en rien !
Douce, et très savoureuse
Celui qui te fit si bien
M'en donne le joy que j'en attends !