A+ A A-

Guilhem Figueira: D'un sirventes far ('Serventes contre Rome')

Guilhem Figueira, Serventes contre Rome

 

D’un serventes far en est son que m’agenssa [PCC 217, 2]
Guilhem Figueira, trobador toulousain (XIII° siècle)
Composition musicale : Delphine Aguilera, Doctors de Trobar
Version I : Delphine Aguilera (Montaigut, 2011)
Accompagnement: Marc Bellity (Mandole)
Version chantée 2 : Delphine Aguilera, Doctors de Trobar (Silvan Chabaud, Inti Cohen, Cédric Viala)
Accompagnement : Maurice Moncozet (Rebec), Cédric Viala (Sound System)
Tous droits réservés @2019
Extrait de ‘LE CRI’ (Reprise de Crozada d’Uei IV en cours).

Traduction Patrick Hutchinson

De faire un serventes
Sur cet air qui me plaît bien,
Je ne veux plus traîner
Ni m'attarder plus longtemps.
Mais je sais sans nul doute
Que malveillance m'en viendra
Car je fais mon serventes
Sur ce faux-nez, enjôleuse
De Rome, laquelle est
Tête de la déchéance
Où déchoit tout bien.

Je ne m'étonne guère,
Rome, si le peuple erre
Car avez entraîné le siècle
Dans la peine et la guerre,
Et par vous, mérite et pitié
Sont morts et sous terre.
Rome trompeuse, de tout mal
Guide, racine et sommet,
Car par vous a été trahi
Le bon roi d'Angleterre.

Rome tricheuse, la cupidité
Vous joue bien des tours
A vos pauvres brebis tondez
Trop la laine sur le dos.
Puisse le Saint Esprit
Qui reçut chair humaine
Entendre ma prière
Et vous briser le bec.
Rome, plus de trêve
Car êtes fausse et perfide
Envers nous et envers les grecs.

Rome, aux pauvres pécheurs
Vous rongez la chair et l'os.
Vous conduisez les aveugles
Avec vous dedans la fosse,
Mais vous outrepassez, Rome,
Les commandements de Dieu.
Parce que votre cupidité
Est sans fond, vous pardonnez
Les péchés pour des deniers.
Rome, de quel lourd fardeau
De mal vous vous chargez !

Rome, vous le savez bien,
Votre méchant baratin
Et votre incurable folie
Firent perdre Damiette.
Vous gouvernez mal,
Rome : que Dieu vous abatte
Dans la déchéance
Car votre domination
Ne vient que de l'argent,
Rome, de mauvaise réputation
Et de parole incertaine.

Rome, en vérité, je le sais
Sans l'ombre d'un doute
Que par le miroitement
Du faux pardon de Dieu
Vous livrâtes au tourment
La chevalerie de France
Bien loin du Paradis,
Et le bon roi Louis
Rome, vous l'avez occis,
Car vos fausses prédications
L'ont fait sortir de Paris.

Rome, aux sarrasins
Vous portez peu de coups,
Mais les grecs et les latins,
Vous les livrez au carnage.
Dans le feu de la Géhenne,
Rome, s’établit votre siège
Et dans la perdition.
Dieu ne me donne jamais
Part, Rome, au pardon
Ni à la fausse croisade
Que vous appelez sur Avignon !

Rome, sans justification
Vous avez tué maints gens.
Cela ne me dit rien de bon,
Vous tenez voie torse
Et du salut, vous obstruez,
Rome, bien la porte.
C'est pourquoi, hiver comme été,
Celui qui suit vos traces
Prend bien mauvais chemin,
Car le diable l'emportera
Dans le feu de l'enfer.

Rome, si l’on veut vérifier
Le mal qu’on dit de vous,
Il n’est que de voir comment
Torturez les chrétiens en cachette.
Mais dans quelle écriture,
Rome, trouvez-vous que l’on doive
Massacrer les chrétiens ?
Dieu, qui est notre vrai pain
Et notre bien quotidien
Me donne de voir arriver
Ce que je souhaite aux romains.

Rome, il est clair et manifeste
Que vous avez trop la frousse
Des indulgences perfides
Que promîtes contre Toulouse.
Vous vous rongez trop les ongles,
Comme atteinte par la gale,
Rome, semeuse de discorde; mais si
Le comte valeureux survit
Deux ans, il en cuira à la France
D'avoir cru à vos basses oeuvres.

Rome, votre forfaiture
Est si énorme que désormais
Ni de Dieu ni de ses saints,
Vous n'avez plus aucune cure,
Et vous gouvernez si mal,
Rome fausse et friponne,
Qu'à cause de vous s’occulte,
S’amenuise et se confond
Le joi de ce monde.
On connaît votre démesure
À la guerre implacable
Que faites au comte Raimond.

Rome, que Dieu l'aide et lui donne
Force et pouvoir de tondre,
Les français, de les écorcher
Et en faire passerelle et pont,
Lorsqu'on en viendra aux mains !
Et je serai bien content
Rome, lorsque Dieu se rappellera
De l’immensité de vos torts,
Et, si c’est Sa volonté,
Qu'Il tire le comte d'affaire,
Le sauvant de mort et de vous.

Rome, je me console, car
D'ici peu, recevrez votre du,
Si l'adroit Empereur
Mène habilement sa barque
Et fait ce qui est prévu.
Rome, en vérité je dis
Que nous verrons bientôt
Déchoir votre puissance ;
Rome, puisse le vrai Sauveur
Me donner de le voir bientôt !

Rome, par soif de lucre
Commettez maintes bassesses,
D’inqualifiables tracasseries,
Et des félonies sans nombre.
Vous la voulez tant,
Cette domination du monde,
Qu’en rien ne craignez plus
Ni Dieu ni ses interdits ;
Le mal que vous faites dépasse
Par dix fois, je le vois bien,
Tout le mal que je pourrais en dire.

Rome, si avez la griffe
À ce point crochue, c'est bien pour que
Rien de ce que vous pouvez saisir
Ne puisse vous échapper.
Si d'ici un peu de temps
Vous ne perdez votre pouvoir
Le monde est déchu
Et mort et vaincu
Et valeur confondue.
Rome, votre Pape est bel et bien
L’homme d’un tel miracle !

Rome, Celui qui est lumière
Du monde, vraie vie
Et vrai salut, vous récompense
D’un sort bien mauvais
Pour le mal criant que faîtes,
Dont s’exclame le monde entier !
Rome déloyale, racine
De tout mal, au feu infernal
Brûlerez, sans doute, si d'ici peu
Ne changez de route.

Rome, on peut bien vous accuser
À cause de vos cardinaux
Qui partout font répandre
Des paroles de péché criminel,
Alors qu'ils ne pensent
Manifestement qu'à une chose :
Comment vendre à bas prix
Le Bon Dieu et ses amis ;
Rome incorrigible, c'est grand ennui
Que de devoir subir et entendre
Vos prêches insipides.

Rome, je suis mal dans ma peau
Car votre pouvoir monte
Et je crains qu'un grand malheur
Ne nous confronte à nouveau,
Car vous êtes abri et tête
De honte et de tromperie,
Et source du déshonneur ;
Rome, vos bons pasteurs
Sont de faux tricheurs,
Et qui accepte de traiter avec eux
N'a pas de tête sur les épaules.

Rome, travailler pour le mal
Est ce que le Pape fait
Lorsqu'il dispute à l'Empereur
Le droit à la couronne,
L'accusant d'être hérétique,
Puis à ses ennemis pardonne.
Car une telle absolution
Qui déroge à la raison
Ne peut être bonne;
Par avance, celui qui la défend
Demeurera bouche bée.

Rome, le Glorieux qui pour nous
Souffrit les affres de mort
En croix, vous étrenne de malheur
Car voulez tous les jours
Aller bourse pleine,
Rome, de mauvais aloi ;
Vous placez votre coeur
Là où est votre trésor,
Ce dont la cupidité vous mène
Droit au feu qui ne meurt.

Rome de l'ulcère puante
Que vous avez dans la gueule
Naît ce pus dont le mal mord,
Et dont s'étouffe et se meurt
Toute la douceur du coeur,
Ce pourquoi le sage tremble
Quand il voit et reconnaît
D'où vient ce venin mortel
(Rome, elle vous coule du coeur !)
A vous en remplir les mamelles.

Rome, j'ai toujours entendu dire
Que vous aviez la tête creuse
A force de la faire raser ;
C'est bien la raison pour laquelle
Je pense et je crois
Qu'on ferait bien de vous la
Retirer, Rome, la cervelle,
Car vous-même et Cîteaux,
Vous portez un bien vilain chapeau,
Depuis qu'à Béziers vous avez fait
Si étrange boucherie.

Rome, avec de miroitantes
Apparences tendez votre toile,
Et vous empiffrez, là où d’autres jêunent.
Visage d'agneau montrez
A l'extérieur, mine benoîte,
Alors qu’au dedans n’êtes
Que loup rapace, serpent couronné
Engendré sur une vipère,
Ce pourquoi le diable a soin de vous
Comme de ses compères.